mercredi 16 septembre 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (10)

X
(1978)
Brain records





Programme 1

1-Friedrich Nietzsche (24'50)
2-Georg Trakl (26'04)
3-Frank Herbert (10'51)
4-Friedemann Bach (18'00)

Programme 2

1-Ludwig II von Bayern (28'39)
2-Heinrich von Kleist (29'32)


D'aucuns considèrent X comme l'oeuvre maîtresse de Klaus Schulze, celle où s'exprime avec le plus d'éclat son amour de la musique classique. Pour ma part, sans nier sa valeur intrinsèque, je ne puis m'empêcher de rester perplexe devant ce disque qui partage avec d'autres doubles albums célèbres (Tales from Topographic Oceans de Yes, Incantations de Mike Oldfield) le même défaut : à savoir une succession de moments superbes parmi les plus beaux de sa carrière que viennent ternir désagréablement de longs passages à vide ou le manque d'inspiration se fait cruellement sentir. En fait, X eût été une totale réussite si Schulze l'avait expurgé de la moitié de son contenu pour ne garder que la quintessence.

On a glosé sur le titre énigmatique de cet opus dont l'atout principal réside dans sa polysémie. X peut se lire comme le chiffre romain : en effet, c'est le dixième album solo de Klaus Schulze. Mais le titre de chaque piste rendant hommage à de grands noms de la littérature allemande, X peut s'interprêter comme le symbole d'une identité.

Avant d'aborder les plats de résistance, commençons par ce qui fâche. Si Schulze devait supprimer tout ce qui sert de remplissage, il se débarasserait du second et dernier titre de la seconde galette, l'ennuyeux et prétentieux
Heinrich von Kleist (29'32). Il ferait mieux aussi de supprimer du disque le totalement raté Frank Herbert qui, en dépit d'une séquence puissamment pulsée, extrêmement prometteuse, qui commence sur les chapeaux de roue, ne propose en définitive aucun développement imperceptible dont Schulze a pourtant le secret, comme si le compositeur n'avait pas su quoi faire avec cette magnifique séquence initiale. Même s'il ne dure que dix minutes, ce titre finit par lasser au bout de trois à quatre minutes d'immobilisme stérile.

Les admirateurs de X évoquent avec une émotion réelle le symphonisme ample et habité de
Ludwig II von Bayern. Comment leur donner tort ? Ce titre est une prouesse incroyable. Schulze arrache de ses instruments électroniques des sonorités symphoniques qui renvoient celles de Vangélis au rang des pires artifices. De plus, la progression dramatique est admirable de lyrisme et de majesté. Enfin, disons que ce titre doit sa réputation, méritée, à ses dix premières minutes. Le problème, c'est qu'à partir de là, l'inspiration de Schulze s'effondre et il nous offre un cadeau empoisonné : un interminable couloir vide où sa musique stagne lamentablement. Comment a-t-il pu oser se lancer dans un immobilisme aussi stérile après une entrée en matière aussi brillamment enlevée ? Certes, après dix minutes de vide, la composition de Schulze voit enfin le retour de sa mélodie initiale, ce qui procure un sentiment de plénitude indéniable, mais il ne faut pas oublier que les huit dernières minutes de Ludwig II von Bayern ne proposent rien d'autre qu'une répétition à l'identique des dix premières. Une honte ! Je ne puis, même avec la meilleure volonté du monde, considérer ce titre comme le chef d'oeuvre déclaré. Si chef d'oeuvre il y a, il ne dépasse pas les dix premières minutes. C'eût été un chef d'oeuvre si Schulze l'avait réduit à dix minutes, mais l'on dirait qu'il a honte des morceaux n'atteignant pas vingt minutes. Si l'on additionne la durée de ces titres, cela fait presque une heure de musique inutile. Heureusement, il reste 68 minutes qui justifient l'enthousiasme des fans de ce double album

Friedrich Nietzsche constitue une entrée en matière des plus convenables, morceau à la fois pulsé et fluide proche dans l'esprit de certains moments de Moondawn. Rien n'est à jeter, tout à savourer. Dans son élément comme jamais, Schulze enlève haut la main cette composition sans qu'il lui soit nécessaire de forcer son talent.
Georg Trakl est une pièce de choix parmi toutes celles qu'il a composées dans les années 70. Lors de la première édition vinyle chez Brain records, à cause de la durée inhabituelle des plages, il avait fallu réduire drastiquement ce titre à cinq malheureuses minutes. Il n'en restait plus que l'introduction, mais quelle intro ! Des notes de synthé éparpillées sur un lit soyeux de percussions qui en rend l'écoute fort agréable. Ce morceau m'avait toujours paru trop court, donc frustrant. Aussi quelle ne fut pas ma surprise, et celle de tous les fans sans doute, lorsque j'ai découvert enfin la version complète de Georg Trakl, 26 minutes splendides pour lesquelles je ne remercierai jamais assez le label SPV qui, avec ses rééditions du maître, nous réserve de belles surprises, celle-ci étant à mon sens de loin la plus extraordinaire car Georg Trakl retrouve enfin son identité, son amplitude, sa cohérence. Schulze y cultive un minimalisme particulièrement convaincant grâce à une séquence comme il en a le secret qu'il explore dans ses moindres fluctuations de rythme et de tonalité jusqu'à l'extase proprement dite. Cette musique n'évoque même plus les espaces intersidéraux, comme à l'époque de Cyborg ou de Timewind, mais tisse la toile intime d'un artiste ouvert à son âme intérieure. Si vous avez la première édition de X, s'il vous plaît, faites l'effort de vous procurer celle-ci, ne serait-ce que pour le plaisir d'admirer ce titre enfin révélé dans sa beauté.

Friedemann Bach, malgré sa relative sobriété, demeure à mon sens le plus beau titre de l'album. La séquence monotone qui le traverse 18 minutes durant, alliée aux accents suaves d'un violon vénéneux, concourt à créer une atmosphère étrange, d'un lyrisme contenu, qui déploie son charme troublant comme le ferait une sonate tzigane de Liszt.

à suivre...

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