mercredi 29 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (7)

MOONDAWN
(1976)
Brain records


Programme 1 : Floating (27'13)

Programme 2 : Mindphaser (25'35)

A quelqu'un qui manifesterait l'envie de découvrir l'univers musical de Klaus Schulze et ne saurait par quel bout entamer une discographie par trop pléthorique, voici incontestablement l'album que je lui soumettrais en guise d'initiation.

MOONDAWN n'a pas l'âpre austérité d'IRRLICHT et CYBORG. Il ne pousse pas sur le même terreau cérébral que PICTURE MUSIC et ne développe pas un univers aussi déboussolant que BLACKDANCE. Son écoute se révèle donc infiniment plus séduisante grâce à des sonorités chaudes qui humanisent la musique de Klaus Schulze. Est-ce à dire que MOONDAWN n'a aucun intérêt ? Rien n'est moins sûr.

Il est considéré en Europe comme un des chefs d'oeuvre de la musique électronique. En France, il jouit d'une réputation infaillible. A Berlin, un critique musical influent qui avait ouvert un café s'en servait comme musique d'ambiance.

MOONDAWN bénéficie d'un son ample d'une richesse qui surpasse encore celle de TIMEWIND. Tout cela provient de la technique d'enregistrement-même : pour la première fois, Schulze utilise un 4 pistes, ce qui amenuise l'aspect quelque peu artisanal des précédents opus. La liste du matériel s'enrichit d'un Big Moog, le mastodonte des instruments électroniques dont Schulze venait de faire l'acquisition auprès de son compatriote Florian Fricke, le leader de Popol Vuh, qui s'en débarassait après en avoir exploré, selon lui, toutes les entrailles sur la BO de Aguirre, la colère de Dieu et sur son album studio, le classique IN THE GARDENS OF PHARAO. En entrant en possession de cet instrument devenu mythique, Schulze intégrait le cercle des privilégiés qui ont tenté de l'apprivoiser, même si le Big Moog a la réputation de n'être jamais totalement apprivoisable. Enfin, cet album voit le retour réussi d'une structure rythmique qui rappelle les premières amours de Schulze. Mais cette fois, MOONDAWN a fait appel au service d'un vrai batteur, le génial Harald Grosskopf, qui contribue largement au succès de l'album en 1976. On avait déjà entendu de fort belles percussions dans PICTURE MUSIC même si ces instruments ne sont mentionnés ni dans le livret d'origine ni dans la réédition de SPV. MOONDAWN multiplie, on le constate, les premières fois, ce qui en fait une étape importante dans la discographie de son auteur, un disque devenu culte, un des meilleurs des années 70.

MOONDAWN est composé de deux longues plages qui contrastent un peu à la manière de PICTURE MUSIC : le premier titre déploie une grande douceur alors que le second explore un territoire beaucoup plus rock. Floating commence de manière incongrue par la voix du pape entonnant une messe tandis que des scintillements parasites évoquent un univers liquide. Bientôt, par-dessus une nappe synthétique planante, débute une séquence "célèbre" que Schulze obtient en collant deux séries de quatre notes légèrement décalées dans le temps selon le principe bien connu du canon, un peu à la manière des notes décalées de la guitare basse de Roger Waters dans le génial One of these days de Pink Floyd. Par la seule magie de cette séquence ultra efficace, Floating transporte l'auditeur dans un univers agréable où règne un esprit easy listening avant la lettre. La facilité d'écoute de ce morceau ne s'apparente toutefois aucunement à quelconque forme de concession artistique. Il est bon de se laisser bercer par la poésie des sons électroniques et le jeu tout en nuances des percussions métronomiques de Harald Grosskopf. L'envoûtement est total. Un régal.

Mindphaser débute lui aussi de la plus douce et fluide des façons, par une nappe synthétique de toute beauté qui justifie à elle seule le qualificatif d'onirique que l'on prête habituellement à la musique électronique de cette époque, et en particulier à la Cosmic Music. L'impression sur l'auditeur est celle d'une invitation au voyage, une entrée en matière des plus relaxantes qui convoque avec elle des couleurs et images abstaites, me donnant la sensation de remonter le temps jusqu'aux origines de la création du monde, comme le merveilleux titre éponyme de Vangelis sur la BO de L'APOCALYPSE DES ANIMAUX. L'état d'apesanteur dure environ 10 minutes après lesquelles Klaus Schulze opère un revirement fulgurant, totalement imprévisible, qui convoque toute la panoplie des percussions et batteries, tandis qu'un son de clavier proche de celui de Mental door se met à rocker diablement au cours d'une improvisation dont le musicien allemand a le secret. Pour soutenir l'ensemble, s'impose une ligne d'orgue conférant au titre une solennité envoûtante.

Comme souvent dans l'oeuvre discographique de Schulze, l'ensemble baigne dans une intemporalité certaine qui défie les courants et les modes. Du grand art.



mardi 14 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (6)

TIMEWIND
(1975)
Brain & Virgin records



pochette de Urs Ammann
Klaus Schulze considère TIMEWIND comme son chef d'oeuvre. On ne peut taxer d'auto-suffisance un artiste qui porte la plupart du temps un regard sans concession sur ses disques. C'est ainsi que son précédent opus, BLACKDANCE, n'a pas du tout l'aval de son auteur qui le renie plus ou moins de sorte que, dans la double compilation ESSENTIAL (1972-...), supervisée par le maître lui-même, c'est le seul titre du CD 1 couvrant les années 70 qui manque à l'appel.
Aux USA, TIMEWIND est acclamé comme une pièce maîtresse de la musique électronique, mais il est vrai que dans ce pays ce fut longtemps le seul disque de Schulze disponible.
En France, l'académique Prix Charles Cros, qui couronne le meilleur disque de l'année et que l'on ne peut décemment pas soupçonner d'accointance avec l'univers de la musique électronique (c'est là un euphémisme), lui a attribué les honneurs suprêmes en cette année 1975.
Une telle unanimité pourrait effrayer l'auditeur prudent : quelle erreur ! TIMEWIND est l'apothéose de la musique électronique cosmique, oeuvre indépassable improvisée en une nuit (en tout cas c'est un mythe que l'auteur lui-même entretient et nous n'avons aucun motif d'en douter), un voyage interstellaire d'une amplitude ahurissante.
On peut se hasarder à considérer IRRLICHT, CYBORG et TIMEWIND comme les pièces d'une Trilogie cosmique dont l'impact émotionnel croît en même temps que Schulze enrichit ses appareillages électroniques, parenté entretenue par les superbes illustrations du peintre Urs Ammann qui magnifient les pochettes respectives de ces trois oeuvres dans un style visuel évidemment inspiré de Salvador Dali et qui collent parfaitement à ces musiques.
Composé de deux longues plages (une habitude chez Schulze), TIMEWIND réclame une disponibilité totale de l'auditeur s'il espère déguster les trésors qu'il renferme.
Le 1°titre, Bayreuth return, est l'une des expériences les plus fascinantes qu'il m'ait été donné de vivre sur le mode de la répétition. Avec une économie de moyen digne de Philip Glass, Klaus Schulze lance une séquence métallique de quatre notes dont il s'amuse ensuite à varier le rythme, en la ralentissant puis l'accélérant jusqu'à plonger l'auditeur dans une transe particulièrement efficace. Nul besoin ici d'étaler sa virtuosité; le minimalisme prévaut du début à la fin. Couvrant souvent la séquence pré-citée, des synthétiseurs étalent dans l'espace sonore leur mélodie aux consonnances vaguement orientalisantes. Il suffit, pour lier le tout, de faire souffler un vent des dunes qui promène sa fraîcheur par intermittences jusqu'à exploser comme une tornade dans les ultimes secondes du morceau, pour parfaire l'ambiance d'une plage puissamment hypnotique.
Le 2°titre, Wahnfried 1884, nous invite à un voyage autrement plus spectaculaire. Débutant par des cris d'agonie qui cisaillent l'espace sonore, il se poursuit par une plainte ample d'une intense expressivité que rien ne semble pouvoir apaiser. Au-delà de la douleur qui imprègne ce passage, ce qui frappe c'est l'amplitude de l'écran sonore qui ne laisse de place à aucun vide et procure une sensation de plénitude vertigineuse. Toutefois, cette première partie, aussi impressionnante soit-elle, ne laisse en rien présager le choc émotionnel qui suit. A partir de la 10°minute, l'interminable plainte synthétique se fige sur une note que Schulze maintient jusqu'à l'infini et sur laquelle le musicien, transpercé par la grâce, vient improviser une courte séquence qu'il fait varier d'une octave jusqu'à l'extase. Aucune autre musique électronique n'a soulevé chez moi une telle émotion, qu'il m'est si difficile de traduire en mots.
Parce que Schulze improvise, les premières minutes de ses compositions sont toujours un temps d'attente pour l'auditeur : le maître tâtonne, hésite, se tient au carrefour de toutes les possibilités qui s'offrent à lui. Cela donne de longues introductions qui participent du lent conditionnement de l'auditeur. Enfin, Schulze, guidé par sa géniale intuition, choisit une piste où l'entraîne son humeur du moment, piste qui s'avère très souvent la meilleure... C'est ainsi que le maître exerce sur moi son envoûtement progressif, presqu'imperceptible.
La contrepartie de cet état d'esprit, c'est que Schulze peine souvent à clôturer ses compositions, qu'elles s'interrompent brutalement ou par le biais d'une classique fondu au noir bien arbitraire : on a souvent l'impression en effet que c'est la limite de stockage des informations sonores propres au vinyl qui décide du moment où doit se terminer chaque morceau, sensation quelque peu frustrante s'il en est. Heureusement, il arrive quelquefois que Klaus Schulze trouve la fin adéquate. C'est le cas avec Wahnfried 1884 qui se clôt sur une tornade sonore dont je ne me suis jamais remis.
Les plaintes stridentes entendues au début du titre refont surface en emplissant l'écran sonore. Superposés à elles, Schulze envoie des échos de battements cardiaques qui affluent à la surface et dont le volume s'amplifie jusqu'à devenir obsédant. Encore une fois, le travail sur les sonorités est impressionnant. Le rythme cardiaque résonne sur un registre de basse d'une puissance phénoménale qui ne manque jamais de faire vibrer mes enceintes acoustiques. Puis, après un crescendo ahurissant, passé l'apothéose, le volume redescend lentement. Les sons de basse cardiaques ralentissent et se raréfient peu à peu jusqu'à vider l'espace sonore d'où affluent quelques ultimes échos. Je ne connais pas d'autres titres du maître dont la conclusion soit aussi cataclysmique. Une maîtrise sonore dont je ne me suis toujours pas remis.
Il est évident que TIMEWIND est un chef d'oeuvre de la musique cosmique, et pourtant, qui pourrait contester le fait que cet album est moins original que BLACKDANCE dont la beauté insolite me trouble autant sinon davantage ?


lundi 13 avril 2009

klaus schulze : le roi de la musique électronique (5)

BLACKDANCE
(1974)
Brain et Virgin


pochette de Urs Ammann

Les fans de Klaus Schulze sont en droit de préférer CYBORG à BLACKDANCE. Pour ma part, même si je considère historiquement CYBORG comme une borne incontournable de la musique électronique, je ne puis m'empêcher de lui préférer BLACKDANCE. Ce n'est pas une question de qualité artistique, mais plutôt d'ambiance sonore.
Il est évident, dès le premier titre Waves of changes, que la palette sonore s'est enrichie d'une guitare acoustique 12 cordes et surtout d'une boîte à rythme dont l'utilisation par Schulze est un modèle d'invention et d'originalité que peu d'artistes sauront après lui exploiter avec un tel art. Les percussions africaines qui interviennent au cours de la seconde partie de Waves of changes apportent elles aussi une touche décalée qui transporte l'auditeur dans un monde d'une étrangeté fort séduisante.
Quand j'écoute ce titre ainsi que les deux autres de cet excellent album, je ne pense à rien de concret. Aucune image ne vient me projeter mon film intérieur. Mon écoute se focalise sur les textures sonores, proprement hallucinantes. Le second titre, Some velvet phasing, en est un exemple étonnant. Ce n'est qu'une improvisation dont Schulze a le secret. On ne peut pas affirmer que ce morceau soit mélodiquement d'une folle invention, et pourtant, bien qu'il soit sans queue ni tête, il fascine du début à la fin. Schulze s'intéresse presque plus à la texture du son qu'à la combinaison des notes entre elles. Sur Some velvet phasing, il invente une matière sonore vivante. Le titre du morceau est là pour l'indiquer. Les synthés se moulent dans une étoffe veloutée qui se tord, se plie et s'enroule sur elle-même. L'effet est particulièrement frappant au casque : le son se retourne sur lui-même comme une feuille qui serait cornée.
BLACKDANCE garde cependant le meilleur pour la fin. Le troisième titre Voices of sin s'avère être incontestablement mon préféré de toute la discographie de Schulze. Il débute, idée géniale s'il en est, par une voix de basse qui provient d'un enregistrement de Verdi. Autant le traitement hallucinant que Schulze fait subir à un orchestre symphonique sur IRRLICHT demeure encore de nos jours une audace surprenante, autant cette voix de basse prise isolément, sans aucun effet électronique, uniquement une ligne vocale de l'art lyrique, perturbe de manière impressionnante les repères de l'auditeur. Puis, les synthés se superposent à cette voix solo en dessinant derrière elle un tapis qui, comme dans Some velvet phasing, se tortille et s'enroule, créant un effet saisissant. La background sonore passe imperceptiblement à l'avant-plan au fur et à mesure que la voix de basse s'estompe. Peu après, une séquence synthétique syncopée, produisant un son métallique étrange, s'enclanche pour ne plus s'interrompre ni baisser de rythme pendant deux bons tiers du morceau. Quand enfin s'ajoutent à l'ensemble les notes d'un piano désaccordé, l'édifice sonore ainsi produit déploie une ambiance particulièrement claustrophobique. Vraiment, un grand morceau !
Pour la première fois à mes yeux, Klaus Schulze crée une musique qui ne sera jamais copiée et n'entraînera aucun émule dans sa voie. Si CYBORG a pu inspirer le OXYGENE de J.M.Jarre, en revanche BLACKDANCE restera un album à nul autre pareil, une expérience fantastique dans laquelle s'égare l'auditeur plongé dans une dimension étrange. Je suis d'accord avec Steve Wilson, leader de Porcupine Tree et Blackfield : BLACKDANCE est l'oeuvre musicale la plus insolite que je connaisse.

jeudi 9 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (4)

PICTURE MUSIC
(1973)
Brain records

Programme :

FACE 1 : Totem (23'45)

FACE 2 : Mental door (23'00)

Après IRRLICHT (1972) et CYBORG (1973) qui invoquaient les espaces sidéraux, c'est à un changement de cap radical que nous invite Klaus Schulze dès son 3°opus. Autant sa musique jusqu'ici fréquentait des sphères sombres et éthérées, autant PICTURE MUSIC se pose sur une base infiniment plus tellurique. Dès les premières secondes de Totem, se met en marche une pulsation organique qu'aucun répit ne viendra altérer au moins jusqu'à la 15°minute. Le plus étrange dans ce premier titre de l'album, c'est que, derrière cette pulsation séquencée aux puissantes résonnances de basse, évolue une mélodie improvisée épousant les circonvolutions sinueuses de l'ARP Odysee, mélodie langoureuse incitant à la méditation. C'est ainsi sur le contraste saisissant entre les textures organique et mentale que se déploient les 23 minutes de Totem. Dans les cinq dernières minutes de cette composition, Klaus Schulze nous offre même un instant magique quand la partition synthétique se fige alors que l'écran sonore se voit barbouillé de notes liquides qui s'entrechoquent dans une cacophonie étrangement harmonieuse.

Ce disque marque aussi l'apparition des premiers synthétiseurs qui apportent à la musique électronique de nouveaux sons analogiques dont bénéficie la même année le magnifique PHAEDRA de Tangerine Dream. Les auditeurs de l'époque, friands de découvertes et d'expériences sensorielles, accueillent cette musique comme ils ont accueilli auparavant celle des Doors et de Pink Floyd. La presse musicale ne tarit pas d'éloges quand il s'agit de présenter des oeuvres d'avant-garde qui propulsent la sphère rock sur des territoires inexplorés jusqu'alors.

La comparaison entre PHAEDRA et PICTURE MUSIC réserve ainsi quelques surprises. Tangerine Dream exploite les nouveaux sons analogiques pour mieux transporter l'auditeur dans une autre dimension cosmique, ce qu'avait fait aussi Schulze avec CYBORG. Et pourtant, PICTURE MUSIC semble jaillir d'un espace plus intime encore, celui dont sont tissés nos souvenirs. Cette oeuvre atypique de Schulze, par laquelle j'ai débuté dans la connaissance de sa discographie, explore des territoires intérieurs s'adressant exclusivement à l'intellect, musique étonnamment cérébrale s'il en est qui n'a besoin d'aucun débordement lyrique. PHAEDRA entraîne l'auditeur à sortir de lui-même, PICTURE MUSIC au contraire le ramène à lui pour le confronter à son inconscient. Dans ce sens, le 3°opus de Schulze se montre voisin, dans l'esprit, des méditations boudhistes dans son art à sonder le tréfonds des ondes cérébrales.
Le second titre, Mental door, débute et se conclut lui aussi par une longue plage méditative, mais Klaus Schulze la brise brutalement par une improvisation aux synthés qui introduit, de manière totalement imprévue, un mouvement funky auquel il ne nous avait pas habitué dans ses deux premiers opus.

Etrangement, il existe 3 pochettes officielles de PICTURE MUSIC. Une fois n'est pas coutume, celle de Urs Ammann (une pièce carrée au sol en damier au plafond de laquelle est crucifié un homme nu) est loin d'être ma préférée. Celle montrant un terrain vague au milieu duquel traîne, abandonné, un cadre-photo figurant le portrait d'un enfant me fascine littéralement. Cette musique est celle qui génère en moi les images les plus fortes. Dès la première écoute de Totem, j'ai conçu un film dont les images virtuelles épousent les circonvolutions cérébrales des synthétiseurs. Le titre du disque m'impressionne : Klaus Schulze avait-il conscience du pouvoir cinégénique de sa musique ? Quelques années plus tard, il expliquera dans le livret de MIRAGE, son 8° album, que sa musique ne porte en elle aucun message pré-établi, que liberté est laissé à l'auditeur d'y poser ses propres images, de lui transférer le sens qu'il veut bien lui donner. Et aucun disque ne me paraît aussi exemplaire de cette démarche artistique que le bien nommé PICTURE MUSIC. Cette musique me connecte à l'enfant dont subsistent en moi des traces. C'est pourquoi la pochette du portrait me sidère autant. Rarement j'ai noté une telle synergie entre une musique et l'illustration de sa pochette.






pochette de Urs Ammann





pochette de Jacques Wirtz


Toute proportions gardées, Steve Roach, admirateur du Schulze de la première période, saura se souvenir des ambiances introspectives de PICTURE MUSIC lorsque paraîtra son légendaire STRUCTURES FROM SILENCE (1984).

lundi 6 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (3)

CYBORG
(1373)


CYBORG : pochette de l'édition Brain records

Programme :

FACE 1 : 1-Synphära (22'45)

FACE 2 : 2-Conphära (25'44)


FACE 3 : 3-Chromengel (23'45)

FACE 4 : 4-Neuronengesang (24'39)

Un an à peine après IRRLICHT (1972), premier essai novateur mais encore balbutiant, Klaus Schulze nous revient en très grande forme avec un second opus, CYBORG (1973), qui non content d'être un double album (2 vinyls) s'impose d'emblée comme le mètre-étalon de la musique cosmique. L'artiste bouillonnant d'inspiration prend littéralement son envol en solo.

A ce titre, il me paraît nécessaire de garder à l'esprit que 3 années séparent CYBORG du célèbre OXYGENE (1976) de Jean-Michel Jarre. Loin de moi l'intention de retirer à Jarre l'immense mérite qu'il a eu de populariser la musique électronique auprès d'un auditoire qui ne l'aurait peut-être jamais découverte de lui-même. Mais je trouve totalement exagéré l'enthousiasme des médias de l'époque qui ont fait passer Jarre pour un authentique défricheur dans le domaine des instruments électroniques, alors qu'il n'a fait qu'emboîter le pas, avec un réel talent certes, aux deux artistes majeurs de l'école berlinoise, Klaus Schulze et Tangerine Dream, qui faisaient planer leur ARP synth et autre mini Moog sur nos platines depuis trois ans déjà. Jean-Michel Jarre a su trouver un compromis idéal entre le style planant de Klaus Schulze et celui, infiniment plus pop, de Kraftwerk, ce qui confère à OXYGENE une séduction immédiate capable de s'exercer même sur une oreille novice.

CYBORG contient déjà en fait toutes les sonorités de OXYGENE, la même texture éthérée, mais l'absence totale de rythme pop, au profit d'un rythme lancinant et robotique, colore ce voyage interstellaire d'accents beaucoup plus sombres.

CYBORG comporte quatre longues plages hypnotiques, autant de variations sur un même thème dont l'intérêt réside non seulement dans leur caractère incantatoire mais aussi dans le jeu fort subtil des textures où se mêlent scintillements de science-fiction, bourdonnements obsédants de basse et nappes aigües d'orgue farfisa. Bien que la palette sonore se soit considérablement enrichie depuis IRRLICHT, le timbre du VCS 3, volontairement monotone, enferme l'auditeur dans une torpeur qui participe de l'étrangeté des 90 minutes d'une musique en totale apesanteur. Le principe de composition est le même que pour IRRLICHT, à savoir la répétition de boucles synthétiques qui accentuent l'impression de musique figée.

On entend encore une fois un orchestre symphonique que Schulze s'est plu de nouveau à triturer. La fusion Orchestre+synthétiseur s'avère infiniment plus réussie que dans l'opus précédent. La musique de Schulze scintille de mille couleurs même si la plupart du temps elle nous offre une impression d'a-tonalité. Les mélodies n'en sont pas vraiment, mais le mariage des instruments électroniques (encore très limités à cette époque) et de l'orchestre déploie des trésors d'harmonies. IRRLICHT était sombre, CYBORG est plus lumineux mais à la manière d'un camaîeu de rouge et d'orange qui transperceraient la noirceur infinie de l'espace. Voilà une musique de méditation idéale, véritable alternative à l'horrible musique NEW AGE surgie des années 80.
CYBORG, pochette de l'édition OHR




dimanche 5 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (2)

IRRLICHT
(1972)

IRRLICHT, pochette de l'édition Brain record

Programme :

FACE 1

1-Satz : Ebene (23'23) 2-Satz : Gewitter (5'39)

FACE 2

3-Exil Sils Maria (21'25)

Pour qui n'a pas connu cette époque, il est difficile d'imaginer l'engouement qu'il y eut en Europe pour un rock alternatif et expérimental. A ce titre, l'Allemagne a offert durant les années 70 une musique différente, totalement décomplexée du modèle anglo-américain, extrêmement inventive. Ce courant musical, parallèle à celui des hippies, a trouvé sa source dans deux écoles : l'école berlinoise et l'école munichoise : ce fut l'émergence de groupes comme Ashra-Temple, Popol Vuh, Can, Neu!, Amon Duul I et II. La presse pop-rock s'est empressée de réunir ces artistes sous l'appellation Krautrock (rock choucroute) qui, soit dit en passant, n'est guère flatteuse et surtout, fort peu commerciale. "Rock allemand" eût été bien plus simple et respectueux.

Klaus Schulze s'est illustré un moment dans l'une de ces formations : Ashra-Temple, aux côtés de Manuel Göttsching.


Ashra-Temple : Join inn (1971)

Le rock proposé par ce groupe devait une part de sa source aux inévitables Pink Floyd auxquels il empruntait ses longues plages planantes aux frontières du psychédélisme. Ashra-Temple évoquait toutefois un rock méditatif et hypnotique très proche du Pink Floyd de la période A SAUCERFUL OF SECRETS, sans en être pour autant une copie. Paradoxalement, au regard de sa carrière future, Schulze officiait au sein du groupe comme batteur.

Au cours de la même période (les tout débuts des années 70), Klaus Schulze a partagé l'affiche de groupes tels les Cosmic Jokers et Tangerine Dream. Le premier de ces groupes s'est avéré en quelque sorte une arnaque, ses disques ayant été édités à son insu.


The Cosmic jokers : 1973

Les Cosmic Jokers étaient une bande de copains qui aimaient se réunir pour improviser de longues plages psychédéliques assez débridées. Or, leurs séances de répétitions auraient été enregistrées par un imposteur qui aurait par la suite exploité les enregistrements en les faisant passer pour ceux d'un groupe officiel, alors qu'il n'y avait rien de si sérieux. En revanche, le second groupe cité, Tangerine Dream, était destiné à devenir un immense représentant de la musique électronique berlinoise, au succès européen avant d'être international. Klaus Schulze a fait partie de ce groupe dirigé par Edgar Froese le temps d'un seul et unique album, le premier de la formation en fait : ELECTRONIC MEDITATIONS.


Tangerine Dream : Electronic meditations (1970)

Le titre de ce disque est lui aussi trompeur puisque la musique improvisée qu'il propose ne fait en aucun cas intervenir l'électronique. C'est un rock alternatif, assez bruitiste, informe et psychédélique. Pour un problème de rivalité avec Edgar Froese le guitariste, Schulze a quitté le groupe après la sortie de cet album inaugural.

C'est alors qu'en 1972 paraît IRRLICHT. Klaus Schulze inaugure avec cet album étonnant une longue carrière solo qui se poursuit encore de nos jours.
Il est évident que je ne saurais conseiller à un mélomane curieux de débuter sa découverte de Schulze par ce disque. Les artistes, à cette époque, même quand ils étaient édités par des labels, avaient plus de liberté qu'aujourd'hui. Le système économique n'avait pas encore trop atteint la sphère musicale. Si le second disque du double album UMMAGUMMA des Pink Floyd vous paraît inécoutable, IRRLICHT, par sa franchise décomplexée, pourrait vous heurter quelque peu, non que cette musique soit horripilante et débridée comme celle des Floyd, mais sa noirceur sans concession ne rend pas son écoute particulièrement joyeuse ou agréable. Et pourtant, il s'agit d'un album majeur de la musique électronique, même si l'électronique de cette époque était encore fort limitée. Pour mieux comprendre IRRLICHT, il faudrait le resituer dans une lignée artistique et technologique qui trouverait sa source dans les travaux électro-acoustiques d'un Stockhausen, d'un Pierre Henry, d'un Pierre Boulez ou d'un Terry Riley et se poursuivrait par ceux de l'école répétitive chère à Philip Glass ou Steve Reich.

De Pierre Henry, IRRLICHT partage le sens du défrichement sonore, un caractère expérimental assumé jusqu'au bout. Klaus Schulze, pour pallier au manque de moyen technique, se sert de bandes magnétiques enregistrées qu'il s'amuse à triturer, à malaxer, jusqu'à les désosser de leur squelette, étape finale d'un processus de métamorphose impressionnant.

Klaus Schulze avait peu de temps auparavant obtenu l'autorisation d'enregistrer avec ses modestes appareils une séance d'improvisation d'un jeune orchestre du conservatoire berlinois. Cet orchestre est très présent dans IRRLICHT, mais si les musiciens avaient écouté le disque, quelle surprise cela aurait été pour eux ! Il y a bien un orchestre dans le premier album du maître, mais celui-ci semble passé sous un rouleau compresseur qui lui confère une sonorité spectrale. Schulze a trituré la vitesse de défilement de sa bande magnétique : l'orchestre semble atteint de torpeur, noyé dans une réverbération dont les échos nous parviennent assourdis. Malgré ce traitement radical d'une matière instrumentale classique, IRRLICHT demeure une oeuvre profondément novatrice, exigeante, dont les sonorités magnétiques nous transportent dans une autre dimension.

L'illustration de Urs Amman sur l'avant de la pochette s'accorde bien avec la tonalité de cette musique hypnotique, rendue solennelle par l'utilisation fantastique d'un orgue farfisa dont les notes appuyées déposent des couches d'angoisse sur le terreau d'un monde désolé, calciné, dévasté : un monde post-apocalyptique.

Mais c'est l'invention sonore qui retient avant tout l'attention. Schulze a le génie de transporter son auditeur très loin, très haut, en dépit de la noirceur de sa musique : une forme d'envoûtement, voire de transe, a lieu, qui peut rappeler certains travaux de Philip Glass.

Bien que le dos de pochette annonce trois plages, ce découpage semble aléatoire tant IRRLICHT s'écoute d'une traîte sans que soit sensible le passage d'un morceau à l'autre. La richesse de cette musique provient de son art à mêler répétition et évolution. La clé de l'art musical de Schulze réside dans la durée qui permet à sa musique d'installer son emprise progressive sur l'auditeur. C'est pourquoi sa discographie contient dès les années 70 des oeuvres avoisinant les soixante minutes, chaque titre déployant sa magie sur 20 à 25 minutes. L'impression première à l'écoute est celle d'une musique stagnante, répétitive jusqu'à la constipation. Or, elle évolue imperceptiblement, comme le spectacle éternellement recommencé d'un feu de cheminée ou celui de nuages en transit dans le ciel : toujours la même chose et dans le même temps jamais la même.



IRRLICHT, pochette de la 1°édition parue chez OHR




samedi 4 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (1)

Deux événements sont à l'origine de mon désir de vous faire partager ma passion pour la musique du très grand compositeur allemand Klaus Schulze.

-tout d'abord, l'initiative fort judicieuse du label InsideOutMusic, spécialiste du rock progressif, de rééditer la discographie complète de cet artiste exceptionnel, en respectant les couvertures d'origine emballées dans de beaux digipacks et pourvus d'un livret passionnant où le maître présente chaque album en le resituant dans son contexte historique. L'intérêt de ces rééditions, qui sont loin d'être achevées, réside dans le bonus inédit qui enrichit généreusement chaque galette et lui fait avoisiner la durée de 80 minutes.
-l'autre événement est le concert que Klaus Schulze a donné lors du festival de Loreleï de juillet dernier et pour lequel se sont déplacés ses fans du monde entier. C'était la première fois que j'assistais à un concert de ce compositeur qui me fascine depuis plus de vingt ans.

Un peu d'histoire s'impose si vous voulez comprendre l'enthousiasme qui m'habite dès que je suis en contact avec la musique électronique de Schulze.

En 1988, je suis inscrit en hypôkhagne, au lycée Thiers de Marseille. J'ai 18 ans, et des rêves plein la tête. C'est la première année que je quitte le nid familial et cela me procure des envies d'évasion. Sauf qu'en hypôkhagne (Lettres Supérieures), l'évasion n'est pas vraiment sollicitée en raison du travail acharné auquel on nous soumet en Littérature, Histoire, Anglais, Italien, Latin, Philosophie. Très rapidement, mes résultats se révèlent catastrophiques dans toutes les disciplines. Je comprends alors que ma modeste mention Assez Bien au Baccalauréat, obtenue la même année en juin à Avignon, n'est pas suffisante pour briller dans cette section prestigieuse fabriquant l'élite de la Nation. Alors, loin de me morfondre, je profite des plaisirs qu'offre la cité phocéenne. Pour moi, le rendez-vous majeur se trouve à la FNAC où l'étalage de disques me donne le vertige en manquant me faire succomber à un orgasme musical.
A cette époque, une boulimie de découvertes musicales me transporte irrésistiblement vers des contrées inexplorées. Alors que Dire Straits cartonne au box office des meilleures ventes d'albums, je m'intéresse quant à moi à des musiques différentes. Les pochettes d'albums du groupe Cocteau Twins me fascinent, mais j'ai peur de tenter l'aventure, le prix des disques étant souvent rédhibitoire pour moi, alors simple étudiant. Je découvrirai Cocteau Twins bien plus tard, et ce sera l'un des deux ou trois chocs musicaux de ma vie estudiantine.
Ma rencontre avec le magicien Klaus Schulze a inauguré chez moi une phase épidermique. Il y a eu tout d'abord cette pochette de disque, ô combien géniale !



Picture music, 1973

Je dois préciser que Klaus Schulze demeurait alors un parfait inconnu à mes yeux. La pochette de Picture music a jailli jusqu'à moi pour atteindre l'intimité la plus secrète de mon être. Il y avait ce cadre, le portrait d'un enfant, qui m'adressait des ondes subliminales me connectant avec la part la plus mystérieuse de ma sensibilité : mon rapport à l'enfance et tous les sortilèges qu'elle renferme. Une envie irrépressible m'a fait commettre l'irréparable : j'ai acheté le vinyle sur la base d'une seule image. Mais quelle image ! Je m'intéressais énormément déjà à la photographie que je pratiquais en amateur. Et la photo de couverture de cet album étrange ressemblait à cette photo idéale que je rêvais de prendre depuis des temps immémoriaux. J'étais jaloux qu'un photographe m'eût dérobé l'idée. Le disque datant de 1973, je n'étais pas en avance. Mes fantasmes artistiques avaient déjà été piétinés par d'autres bien longtemps avant moi.

L'écoute du disque a achevé de parfaire l'envoûtement suscitée par l'illustration de pochette. Aucune musique ne pouvait mieux traduire l'indicible présence qui hante la photographie.

Je n'ai pas tardé à découvrir dans les bacs de la FNAC d'autres disques de Klaus Schulze que mes doigts soupesaient, effleuraient avec une gourmandise sans cesse renouvelée. Mes résultats d'étudiant en hypôkhagne ne se sont pas forcément améliorés, mais j'étais protégé depuis ma rencontre avec le magicien des sons électroniques. Je n'avais pas pu écouter mon premier vinyle acheté car, à Marseille, je ne possédais pas de lecteur de 33 Tours. Il m'a fallu profiter d'un week-end où je rendais visite à mes parents pour me faire une copie cassette de Picture music grâce aux appareils HI-FI de mon père. C'est ainsi que sur mon baladeur, j'ai pu savourer la douceur et l'étrangeté de ce disque qui répondaient à mes meilleures attentes musicales.

Quand je me rendais à la FNAC, les bacs de Schulze étaient devenus mon passage obligé. Les vinyles défilaient sous mes doigts électrifiés. Et au cours de la saison scolaire 1988-1989, j'ai dilapidé tout le rayon Schulze de la FNAC. Je comprends aujourd'hui que j'étais l'unique acheteur friand de cet artiste à cette époque à Marseille. La FNAC se rendait compte que les vinyles de Schulze partaient comme du petit pain, ce qui incitait les marchands à achalander régulièrement son rayon. Vous me direz que je jouais dans cette histoire le dindon qu'il fallait plumer et qui se laissait plumer autant de fois qu'il trouvait un nouveau disque du compositeur allemand disponible dans les bacs. Tout cela est exact, mais en tant qu'acheteur, ce n'est pas un disque que j'achetais, c'était un univers fascinant, unique, une musique s'adressant à l'intellect en passant par le canal de l'émotion. Quand est arrivé le mois de juin de la même année, je m'étais déjà procuré les vinyles suivants de Klaus Schulze :

Picture music / Blackdance / Timewind / Moondown / Bodylove / Dune / Digit / Trancefer / Dreams / Interface / Babel / En=trance

Je n'achète plus de disques de manière aussi compulsive à présent, mais le récent retour à l'actualité de Schulze à l'occasion des rééditions de toute son oeuvre m'a conduit à me procurer la version CD de la plupart de mes vinyles, ce qui démontre, s'il en est, la folie qui me gagne dès qu'il s'agit du roi de la musique électronique.

Maintenant, je vous invite à découvrir ces disques qui me hantent toujours autant de nos jours. Tout ce qui jaillit de cet artiste est pailleté d'or, et tant pis si sa production pléthorique (plus de cent disques) s'accompagne de déchets inévitables : comme l'a affirmé Schulze lui-même : "L'art n'est pas qualité mais quantité".


Blackdance (1974)


(à suivre...)