Le compositeur qui me transporte avec le plus de constance vers les cîmes de la béatitude est sans conteste notre "prêtre roux" préféré : j'ai nommé Antonio Vivaldi. Je n'ai pas envie d'ajouter une énième critique de ses concertos saisonniers, trop connus, trop entendus, devenus le best seller du classique : quelle horreur ! (pas l'oeuvre en elle-même, non, mais l'abattage médiatique qui lui a sucé la moëlle jusqu'à la vider de sa substance) J'affectionne Vivaldi dans plusieurs de ses aspects. Tout d'abord, son répertoire sacré.

L'académy of ancient music de Christopher Hogwood est l'une des précurseurs dans l'exécution des oeuvres anciennes sur instruments d'époque. La musique baroque s'y prête admirablement. James Bowman est impressionnant dans le Stabat Mater et le Nisi dominus. Ce contre-ténor déploie un timbre très recueilli, empreint de douleur, qu'il fait vibrer avec une force exceptionnelle. J'ai peur d'entendre ces opi interprétés par des alti comme je sais que ça se fait. Je reste attaché à James Bowman.
Je désire saluer Robert King, chef d'orchestre, et l'éditeur anglais Hypérion, pour leur intégrale du répertoire sacré de Vivaldi, que le King's consort interprète avec une belle ferveur et un enthousiasme vibrant. Tous les volumes valent le détour.


Changeons de siècle et de pays. J'admire Beethoven dont je ne me lasse pas des sonates pour piano qu'il a regroupées sous le titre de Bagatelles. Ces bagatelles nous font entendre un Beethoven en fin de carrière, totalement sourd, mais vibrant d'une élégance, d'une fougue, d'une exaltation qui siéent bien à son tempérament romantique.
Je les ai découvertes avec le pianiste Alfred Brendel, grand connaisseur de l'oeuvre du maître.

Mais, en définitive, j'ai trouvé l'interprétation idéale de ces miniatures d'orfèvre en la personne de Stephen Bishop Kovacevich qui a enregistré l'intégrale des Bagatelles chez Philips. Kovacevich a su s'adapter à la couleur de chaque fantaisie pianistique que sont les Bagatelles. Il n'hésite pas à s'exalter quand la composition l'exige, faisant preuve d'une belle virtuosité, ni à ralentir le tempo quand il faut être à l'écoute des subtilités mélodiques que requièrent certaines autres Bagatelles.
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Dans ces partitions légères de Beethoven, je dois mentionner aussi Glen Goult, qui fait sonner les Bagatelles d'une manière plus menaçante, lourde. Je ne comprends pas pourquoi. Cela me paraît un contre-sens.
Plus proche de nous, qui n'a pas entendu la musique de scène que Gabriel Fauré a composée pour la pièce Pelléas et Mélisande de Maeterlinck ne sait pas le sens de la délicatesse ni de l'harmonie. La chanson de Mélisande me bouleverse, en dépit de sa brièveté, pour son sens du tragique murmuré. La meilleure interprétation qui soit est sans conteste celle qu'en a proposée le chef d'orchestre japonais Seiji Ozawa à la tête de l'orchestre symphonique de Boston. Il s'en dégage une finesse, une douceur, une mélancolie indicibles. Ozawa a tout compris de l'âme fauréenne. Dans le même disque, il propose une version orchestrale de la suite Dolly. A l'origine, c'était une composition pour piano à quatre mains que Fauré a écrite pour sa jeune dédicataire Hélène Bardac, et qui préfigure une littérature musicale ou romanesque dédiée au monde de l'enfance. Je trouve cette suite admirable, émouvante, gaie, pleine de vitalité, naïve. Signora Holly devrait y trouver des accents qui ne sont pas sans évoquer l'enfance chère à James Mattew Barrie. Voilà une oeuvre de Fauré que je lui conseille vivement, de préférence la version originale au piano à quatre mains. Naturellement, il est une oeuvre de Fauré dont une médiatisation à outrance n'est pas parvenue à altérer la sublime grandeur, c'est son Requiem, oeuvre intemporelle, un peu à part des Requiem traditionnels dans la mesure où Fauré ne l'a pas composé à la suite de la mort d'un être cher. Ce Requiem résonne étrangement doux, comme une caresse de la mort bienveillante. Ma version préférée est celle de Daniel Baremboïm, pleine de ferveur, habitée d'une émotion palpable en même temps qu'éthérée : magnifique.
Les vrais connaisseurs de Gabriel Fauré ont succombé au charme si français de ses quatuors pour piano, opus 15 et 45, indéniablement la quintescence de l'art indicible du compositeur. Il m'est impossible de décrire avec des mots la subtilité, l'élégance, la passion qui s'exercent dans ces pièces maîtresses inimitables. La seule mention que je puisse faire est celle de Proust vers l'univers duquel me renvoient les deux quatuors pour piano de Fauré. Je n'ai pas entendu meilleure interprétation de ce répertoire que celle que nous en donne le quatuor Domus, chez Hypérion, absolument divin pour peu qu'on soit sensible à Fauré. Ce n'est pas de la musique qui vous agresse par sa beauté virtuose. Le compositeur ne cherche jamais l'esbroufe, mais sa musique se reçoit comme un souvenir trempé dans la madeleine proustienne.
Je ne voudrais pas oublier non plus les fameux Préludes de Claude Debussy, autre génie symboliste dont la musique était déjà d'avant garde à son époque. Ses Préludes nous invitent à des humeurs, des impressions, des couleurs changeantes. N'y cherchez pas une ligne mélodique quelconque : Debussy a dépassé ce stade primaire de la musique. Ce qu'il vise ici, c'est l'absolu de la sensation, la sensation-même. Existe-t-il meilleur ambassadeur de ce répertoire délicat que le pianiste Arturo Benedetti Michelangelo, lequel a enregistré une intégrale des Préludes chez Deutsch Grammophon ? Quel art !
