jeudi 2 juillet 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (9)

BODYLOVE
(1977)
BRAIN RECORDS





Programme 1 :
Stardancer : (13'38)
Blanche : (11'44)

Programme 2 :
P:T:O : (27'12)


Il est des films dont la musique est un atout secondaire, d'autres dont c'est malheureusement le seul et unique atout. BODYLOVE appartient à cette seconde catégorie. Quand le producteur Manfred Menz contacte Klaus Schulze en 1977, c'est pour lui commander la Bande Originale d'un film porno. La première réaction de Schulze est, on le comprend, de refuser cette commande jusqu'à ce que le réalisateur Lasse Braun lui montre son film déjà monté sur lequel il avait plaqué des extraits de TIMEWIND et MOONDAWN. Schulze a été impressionné de constater que sa musique entrait en osmose avec les images. Ce qui l'a amené à finalement accepter le projet, c'est la liberté qu'on lui offrait de composer une musique personnelle sans qu'il soit besoin, en raison de la raréfaction des dialogues, d'écrire un petit bout de musique par ci, trois minutes par là. On le sait, la musique de Schulze a besoin d'espace et de temps pour s'exprimer et ne supporterait pas d'être charcutée pour les besoins du minutage serré d'un film. Une fois conforté dans son envie d'être libre de composer la musique qui est la sienne, il s'est mis au travail. Le résultat est époustouflant : BODYLOVE s'inscrit non seulement comme l'un des meilleurs albums de Klaus Schulze, mais c'est aussi l'une des deux ou trois plus belles musiques de film que je connaisse, avec le séminal FULL CIRCLE de Colin Towns dont je recherche toujours l'édition CD. Le tour de force de Schulze est d'autant plus surprenant qu'il s'agit d'un film pornographique qui, même s'il se situe au-dessus de la moyenne de part ses qualités de montage et de chorégraphie, n'en demeure pas moins d'une indéniable médiocrité. Quel autre film porno pourrait se targuer d'une musique d'une telle beauté ? S'il en est, je suis preneur.

Il est difficile d'évaluer la qualité intrinsèque d'une BO. D'aucuns pensent qu'une bonne musique de film est avant tout une musique qui n'a pas besoin du support des images pour livrer ses beautés. Même si certaines BO peuvent se réclamer de cette catégorie, il n'est pas certain que ce soit un critère légitime pour juger une musique de film. Il faut tenir compte aussi de l'interaction entre les images et les notes, de la capacité d'une BO à soutenir l'impact émotionnel d'une séquence ou d'un film dans sa globalité. Alors, je ne prétendrai pas que BODYLOVE soit une BO exemplaire. Une certitude cependant : cette musique s'écoute fort agréablement, et même passionnément, sans l'appui des images. Elle me fascine depuis des années, bien avant que j'ai eu la chance de découvrir le film porno de Lasse Braun.

Quand je considère la discographie de Klaus Schulze de IRRLICHT à DUNE, je suis saisi par la chaleur humaine particulière que dégagent ses oeuvres de l'année 1977, BODYLOVE (volumes 1 et 2) et MIRAGE. Rarement les synthétiseurs et autres échantillonneurs électroniques n'ont sonné aussi humains que dans les deux disques précités. BODYLOVE à ce titre est une pure merveille, une musique d'une rare sensibilité, le comble pour la BO d'un film pornographique.

La première fois que j'ai écouté BODYLOVE sur le vinyle que j'ai acheté en 1988-89, j'ignorais qu'il s'agissait d'une BO bien que cela soit mentionné sur la jaquette. Et quand je l'ai su, j'étais loin d'imaginer que cette superbe musique s'harmonisait sur des images pornographiques. Aussi, je n'en tiendrai plus compte dans ma chronique qui ne s'intéressera qu'à la seule musique.

BODYLOVE s'ouvre sur Stardancer, une composition qui porte magnifiquement son nom. Il s'agit en effet d'une musique pulsée d'une redoutable efficacité. On ne peut négliger l'empreinte sur ce titre de l'ère naissante du disco dont Stardancer contient toute l'humeur dans sa forme sans pour autant qu'on puisse le situer dans la mouvance des Bee Gees et autres Bonney M. De part sa longueur déjà, et surtout à cause de l'absence de paroles et de chant. Klaus Schulze soigne particulièrement son introduction, comme à son habitude, en nous envoyant une série d'effets percussifs ambient, des roulements de tambour dont les echos se perdent dans l'infini et qui plongent admirablement l'auditeur dans un état second. Puis, se met en place une séquence très pulsée qui m'évoque les ambiances d'Irène Cara dans Flashdance, lorsqu'elle s'entraîne seule à la sueur de son exaltation, bien que le film de Adrian Lyne soit bien postérieur au disque de Schulze. Et sur cette séquence endiablée, viennent se poser des lignes de synthétiseur syncopées qui, parfois se prolongent. Je suis persuadé qu'à cette époque, il eût été possible de danser sur ce titre à condition d'en accepter le rythme particulier.
Le passage de la première plage à la seconde provoque un contraste saisissant : autant Stardancer nous entraîne dans un rythme endiablé, autant Blanche (du prénom de la copine de Schulze à cette époque) plonge dans une profonde mélancolie. Cette mélodie au piano évoque les riches heures du romantisme allemand et je ne puis m'empêcher de penser à la célèbre Sonate au clair de lune de Ludwig Von Beethoven. La sensibilité qui exsude de cette belle composition est d'autant plus frappante qu'elle s'exprime par le prisme des synthétiseurs desquels Schulze extrait des sons chauds d'une incomparable délicatesse. Il n'y a pas à proprement parler d'évolution dans ce morceau, mais les circonvolutions infinies d'une insondable mélancolie.

La pièce-maîtresse de BODYLOVE se cache dans le troisième et dernier titre, celui qui justifie à lui seul l'acquisition du disque. Pour ma part, je le situe dans le haut du panier, juste à côté de l'immense Wahnfried 1880 (TIMEWIND). L'ouverture magnifique de P:T:O déploie des choeurs synthétiques dans l'expression d'une déploration prégnante qui parcourt tout le disque et lui confère une unité indéniable. Puis, s'enclenche une séquence de huit notes au clavier, qui ne s'interrompra brutalement que six minutes avant la fin de la composition, soit une séquence d'environ 20 minutes, que Schulze fera varier d'une octave dans un crescendo irrésistible, pendant que les nappes de synthé serviront de liant à l'ensemble. Je suis constamment ébloui par la fluidité exceptionnelle de P:T:O qui me donne toujours la sensation de prendre un train endiablé dont rien par la suite ne pourra ralentir l'ascension. Il est parfois un sentiment d'ennui qui m'assaille à l'écoute de la musique de Klaus Schulze, dû en grande partie à sa gestion parfois insuffisamment inspirée de la répétition. Mais P:T:O balaie cette faiblesse relative d'une façon admirable. Impossible de sentir le temps passer tant la progression harmonique, soutenue par d'impressionnantes percussions, ne laisse aucun répit à l'auditeur. Lorsque le crescendo atteint son point de non retour, Schulze stoppe brutalement ses machines, comme un encéphalogramme qui s'arrêterait, et exécute une gamme descendante comme conclusion à l'orgasme qui vient d'éclater. L'effet, surprenant, est saisissant. Les nappes de synthé qui concluent P:T:O reviennent alors comme un rappel du titre Blanche (le second du disque) pour amortir la chute et accompagner l'auditeur jusqu'au terme d'un voyage époustouflant qui le laisse hébété.

Sublime.

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