mercredi 8 février 2012

la monstrueuse altérité du fils


Tout un chacun sait par expérience que l'éducation des enfants constitue une étape primordiale dans le développement d'un individu, que ce soit le parent lui-même ou sa progéniture. Aussi, bien des romans et des films ont abordé cette thématique devenue un lieu commun plus ou moins banalisé.
"We need to talk about Kevin" ne raconte pas l'histoire d'une éducation, même si le coeur du récit concerne les problèmes que rencontre une mère dans ses rapports avec son fils.
Le film de Lynn Ramsey (Je n'ai pas lu le roman dont il est l'adaptation visuelle) pose l'épineuse question (l'un des derniers véritables Tabous) de la maternité confrontée au monstre qu'elle a engendré. Que le personnage incarné magnifiquement par Tilda Swinton ait plus ou moins désiré le garçon qu'elle a mis au monde ne constitue pas en soi une explication suffisante pour justifier le comportement du rejeton. Nulle psychologie ne vient élever la réflexion inhérente à cette histoire d'une horrible banalité dont la portée monstrueuse ne se dévoile que peu à peu.
Au départ, il s'agit ni plus ni moins que du comportement d'un bébé chialeur qu'une mère démunie ne parvient jamais à rasséréner. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, ses rapports avec la mère se durcissent : refus d'obtempérer à toutes les propositions maternelles, même lorsqu'il s'agit de partager un moment ludique avec un ballon; répulsion face aux élans de tendresse de la mère; provocations qui prennent la forme d'un refus de l'éducation (voir comment le gamin délibérément défèque dans ses culottes alors qu'il en a passé l'âge).
Par son mutisme, l'actrice Tilda Swinton exprime le désarroi d'une mère totalement dépassée mais qui essaie de ne pas lâcher prise. Il s'ensuit une guerre des nerfs aux répercussions de plus en plus inquiétantes (voir l'épisode de l'accident au cours duquel, dans un accès de colère, la mère blesse l'enfant avant de le conduire aussitôt aux urgences où on lui met le bras dans le plâtre alors que la mère ne peut avouer sa culpabilité et comment, ensuite, face au père surchargé de travail l'enfant fait croire, non sans jeter sur sa mère un regard narquois, qu'il est tombé de lui-même...).
Cette escalade de la violence, qu'elle soit psychologique ou physique, est traitée sans aucune concession au commercial : le regard reste clinique, froid, distant, d'une objectivité effrayante, à la manière des films de Michael Hanneke. La mère s'enferme dans son mutisme, sa souffrance, l'enfant devient un adolescent machiavélique aux instincts meurtriers de plus en plus marqués.
L'acteur qui incarne l'enfant, et surtout celui qui incarne l'adolescent, sont glaçants.
Ce film extrêmement déstabilisant constitue une expérience sensorielle éprouvante que radicalise un montage avant-gardiste censé traduire le chaos intérieur de la mère. C'est un grand film sur la monstruosité, sur l'altérité indivisible des êtres, sur la contamination progressive du quotidien par le mal.
A ne pas mettre à la portée de n'importe qui. Vous êtes prévenus.

2 commentaires:

vali a dit…

un film à voir dès mon retour en France.

fred a dit…

Merci Vali de ton passage sur mon territoire intime. Cela faisait un bon bout de temps que personne ne l'avait foulé de ses pas aventureux. Mais, ça tu le sais déjà, aventurière jusqu'au bout des ongles comme tu l'es.
Oui, ce film est à voir par quiconque s'intéresse aux oeuvres qui remuent et qui outrepassent le carcan insupportable du politiquement correct, la plaie la plus immonde de notre ère sans saveur et sans réflexion.