Depuis que j'écris, et que je suis parvenu à une certaine maturité de mon activité littéraire, je cherche à traquer la vérité secrète des êtres derrière leur apparence sociale. J'ai besoin de débusquer ce qu'ils ignorent eux-mêmes, ce qui les fait vivre sans qu'ils en aient conscience. Et à ce jeu, Atom Egoyan n'a pas son égal : la connaissance profonde qu'il manifeste à l'égard de la psyché humaine me touche beaucoup plus que celle de Ingmar Bergman, cinéaste que pourtant j'admire. Je vais essayer de m'expliquer.
Ingmar Bergman ausculte l'âme de ses personnages, qu'ils soient masculins ou féminins, avec la précision sans appel que lui permet sa lucidité au scalpel. Il va chercher très loin la source de nos frustrations, de nos jalousies, de nos malaises, et les étale sans état d'âme, impudique dans son approche de dévoilement des masques sociaux. Peu ou prou, Atom Egoyan procède aussi par dévoilement de l'indicible, mais, à la différence de Bergman, connu pour sa misanthropie, il débusque la vérité cachée des êtres pour en révéler les souffrances, et pour nous permettre de réévaluer la première impression qu'ils nous ont laissée. C'est un travail de réhabilitation auquel s'est attelé le cinéaste canadien, qui révèle son empathie pour les marginaux, les êtres au comportement étrange, suspects voire malsain. La perversité d'Egoyan est nuancée par sa profonde humanité.
Un film déploie le talent d'Egoyan à son zénith : il s'agit de son chef d'oeuvre : EXOTICA
Egoyan a saisi avec une pertinence exceptionnelle le manège obsédant et opaque des rituels dont nous sommes tous les prisonniers. Chaque personnage d'Exotica est exposé tout d'abord dans son opacité, comme accomplissant un rituel complètement bizarre voire malsain.
Christina travaille dans une boîte de nuit spéciale, Exotica, où elle danse devant des hommes venus se détendre après le travail de la journée. Certains clients la payent pour qu'elle vienne faire son numéro de streap-tease à leur table. Mais le règlement du club stipule l'interdiction pour les clients de toucher les filles qui se dénudent. Nous ne savons rien de Christina, au départ, seulement qu'elle accomplit son travail nocturne avec une certaine conscience professionnelle. D'où vient-elle ? Pourquoi officie-t-elle dans ce club à côté duquel sa beauté juvénile jure un peu ?
Francis et la jeune fille (Sarah Polley)
Eric est le disc jokey du club Exotica. Il domine la scène et la salle où s'installent les clients. Son rôle consiste surtout à introduire le numéro des danseuses qu'il valorise de ses improvisations érotiques. il n'oublie pas non plus celles qui attendent le bon vouloir d'un client pour venir se dénuder à sa table. Mais sa libido s'enflamme toujours lorsqu'il doit présenter le numéro de Cristina, laquelle en jupe et chemisier d'écolière se déhanche sur la mélodie langoureuse et si suggestive "Everybody knows" de Leonard Cohen. Qui est Eric ? Est-il un pervers qui succombe au fruit trop mûr de Cristina sans pouvoir l'approcher ? Celle-ci jette parfois un oeil vers lui, dans les hauteurs de la salle, et leurs regards suggèrent qu'ils se connaissent. Mais depuis quand ? Pourquoi Eric est-il jaloux quand Cristina se rend à la table de Francis, le contrôleur des impôts, et discute avec ce dernier autour d'un verre qu'il lui a offert ?
La première partie du film passe d'un personnage à l'autre sans qu'on parvienne à identifier l'enjeu narratif. Mais y-a-t-il vraiment un récit ? Non, pas dans le sens classique du terme. L'opacité des êtres, et de leur rituel pour le moins étrange, s'explique par l'accumulation des événements du passé qui les ont conduits jusqu'à ce club où nous les découvrons tous les soirs. Pour certains, ces événements remontent jusqu'à leur tendre jeunesse. Les flash-back d'Exotica ne sont pas novateurs, certes. On peut citer d'autres films qui dévoilent peu à peu le passé des personnages par ce genre de retour en arrière qui finissent par expliquer leurs actes du présent. Sauf que Atom Egoyan, lui, n'a pas construit son film en deux parties, dont l'une correspondrait au passé et l'autre au présent. En fait, ce principe de dévoilement progressif du mystère propre à chaque personnage est celui du film tout entier. Cette astuce scénaristique rend le film de plus en plus passionnant à mesure que sont dévoilées des bribes du passé. Le spectateur ne peut plus décrocher car la construction dramatique, d'une réelle virtuosité, mais jamais gratuite, ne lui permet pas d'anticiper le dénouement. C'est l'un des rares films que je connaisse dont les personnages en savent beaucoup plus que le spectateur. Ce dernier, vers la fin seulement, recolle les pièces du puzzle, et accède à l'intimité des personnages. Enfin presque.
Parmi les gens qui se promènent dans ce champ, nous reconnaissons Eric et Cristina, mais leur comportement nous étonne dans la mesure où il ne correspond pas à celui que nous leur connaissons dans le club. A quel moment situer cette séquence ? Et que font ces gens alignés à marcher ainsi dans la nature ?
2 commentaires:
mais ce n'est pas possible ! je ne connais pas ce film et voilà que je ne connais pas le dénouement, je suis incorrigible, j'aime savoir la fin et parfois même, avant de commencer, cela ne me gène en aucune manière, je suis capable de lire et relire, voir et revoir ce que j'aime, de même je suis souvent incapable de lire un livre sans en avaoir lu les pages de fin...pour les films c'est plus délicat, sauf que je peux, parfois me faire racontre un film que je compte aller voir, ainsi, une amie m'a raconté le film "un secret". Bouleversant. Je le verrai cependant sans regretter le dévoilement... Please !!!!!!!!!!!!
A ma grande honte je n'ai pas vue non plus ce film!!!! mais je le note!!!! ;o) un tel enthousiasme ne saurait me laisser indiférente!!! :o)))
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