mardi 14 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (6)

TIMEWIND
(1975)
Brain & Virgin records



pochette de Urs Ammann
Klaus Schulze considère TIMEWIND comme son chef d'oeuvre. On ne peut taxer d'auto-suffisance un artiste qui porte la plupart du temps un regard sans concession sur ses disques. C'est ainsi que son précédent opus, BLACKDANCE, n'a pas du tout l'aval de son auteur qui le renie plus ou moins de sorte que, dans la double compilation ESSENTIAL (1972-...), supervisée par le maître lui-même, c'est le seul titre du CD 1 couvrant les années 70 qui manque à l'appel.
Aux USA, TIMEWIND est acclamé comme une pièce maîtresse de la musique électronique, mais il est vrai que dans ce pays ce fut longtemps le seul disque de Schulze disponible.
En France, l'académique Prix Charles Cros, qui couronne le meilleur disque de l'année et que l'on ne peut décemment pas soupçonner d'accointance avec l'univers de la musique électronique (c'est là un euphémisme), lui a attribué les honneurs suprêmes en cette année 1975.
Une telle unanimité pourrait effrayer l'auditeur prudent : quelle erreur ! TIMEWIND est l'apothéose de la musique électronique cosmique, oeuvre indépassable improvisée en une nuit (en tout cas c'est un mythe que l'auteur lui-même entretient et nous n'avons aucun motif d'en douter), un voyage interstellaire d'une amplitude ahurissante.
On peut se hasarder à considérer IRRLICHT, CYBORG et TIMEWIND comme les pièces d'une Trilogie cosmique dont l'impact émotionnel croît en même temps que Schulze enrichit ses appareillages électroniques, parenté entretenue par les superbes illustrations du peintre Urs Ammann qui magnifient les pochettes respectives de ces trois oeuvres dans un style visuel évidemment inspiré de Salvador Dali et qui collent parfaitement à ces musiques.
Composé de deux longues plages (une habitude chez Schulze), TIMEWIND réclame une disponibilité totale de l'auditeur s'il espère déguster les trésors qu'il renferme.
Le 1°titre, Bayreuth return, est l'une des expériences les plus fascinantes qu'il m'ait été donné de vivre sur le mode de la répétition. Avec une économie de moyen digne de Philip Glass, Klaus Schulze lance une séquence métallique de quatre notes dont il s'amuse ensuite à varier le rythme, en la ralentissant puis l'accélérant jusqu'à plonger l'auditeur dans une transe particulièrement efficace. Nul besoin ici d'étaler sa virtuosité; le minimalisme prévaut du début à la fin. Couvrant souvent la séquence pré-citée, des synthétiseurs étalent dans l'espace sonore leur mélodie aux consonnances vaguement orientalisantes. Il suffit, pour lier le tout, de faire souffler un vent des dunes qui promène sa fraîcheur par intermittences jusqu'à exploser comme une tornade dans les ultimes secondes du morceau, pour parfaire l'ambiance d'une plage puissamment hypnotique.
Le 2°titre, Wahnfried 1884, nous invite à un voyage autrement plus spectaculaire. Débutant par des cris d'agonie qui cisaillent l'espace sonore, il se poursuit par une plainte ample d'une intense expressivité que rien ne semble pouvoir apaiser. Au-delà de la douleur qui imprègne ce passage, ce qui frappe c'est l'amplitude de l'écran sonore qui ne laisse de place à aucun vide et procure une sensation de plénitude vertigineuse. Toutefois, cette première partie, aussi impressionnante soit-elle, ne laisse en rien présager le choc émotionnel qui suit. A partir de la 10°minute, l'interminable plainte synthétique se fige sur une note que Schulze maintient jusqu'à l'infini et sur laquelle le musicien, transpercé par la grâce, vient improviser une courte séquence qu'il fait varier d'une octave jusqu'à l'extase. Aucune autre musique électronique n'a soulevé chez moi une telle émotion, qu'il m'est si difficile de traduire en mots.
Parce que Schulze improvise, les premières minutes de ses compositions sont toujours un temps d'attente pour l'auditeur : le maître tâtonne, hésite, se tient au carrefour de toutes les possibilités qui s'offrent à lui. Cela donne de longues introductions qui participent du lent conditionnement de l'auditeur. Enfin, Schulze, guidé par sa géniale intuition, choisit une piste où l'entraîne son humeur du moment, piste qui s'avère très souvent la meilleure... C'est ainsi que le maître exerce sur moi son envoûtement progressif, presqu'imperceptible.
La contrepartie de cet état d'esprit, c'est que Schulze peine souvent à clôturer ses compositions, qu'elles s'interrompent brutalement ou par le biais d'une classique fondu au noir bien arbitraire : on a souvent l'impression en effet que c'est la limite de stockage des informations sonores propres au vinyl qui décide du moment où doit se terminer chaque morceau, sensation quelque peu frustrante s'il en est. Heureusement, il arrive quelquefois que Klaus Schulze trouve la fin adéquate. C'est le cas avec Wahnfried 1884 qui se clôt sur une tornade sonore dont je ne me suis jamais remis.
Les plaintes stridentes entendues au début du titre refont surface en emplissant l'écran sonore. Superposés à elles, Schulze envoie des échos de battements cardiaques qui affluent à la surface et dont le volume s'amplifie jusqu'à devenir obsédant. Encore une fois, le travail sur les sonorités est impressionnant. Le rythme cardiaque résonne sur un registre de basse d'une puissance phénoménale qui ne manque jamais de faire vibrer mes enceintes acoustiques. Puis, après un crescendo ahurissant, passé l'apothéose, le volume redescend lentement. Les sons de basse cardiaques ralentissent et se raréfient peu à peu jusqu'à vider l'espace sonore d'où affluent quelques ultimes échos. Je ne connais pas d'autres titres du maître dont la conclusion soit aussi cataclysmique. Une maîtrise sonore dont je ne me suis toujours pas remis.
Il est évident que TIMEWIND est un chef d'oeuvre de la musique cosmique, et pourtant, qui pourrait contester le fait que cet album est moins original que BLACKDANCE dont la beauté insolite me trouble autant sinon davantage ?


2 commentaires:

Cyril P. a dit…

Bravo : "Timewind", effectivement pièce-maîtresse du Maitre, que j'ai toujours préférée aux autres malgré leur très grande qualité (les énormes "Moondawn", "Dune" ou "X").

Schulze avait vraiment passé le Rubycon sur ce coup-là. Le disque de la maturité...

1975, grande année. J'avais 3 ans.

Guermantes a dit…

J’ai écouté plusieurs fois Timewind cette semaine et c’est vraiment un album exceptionnel…

En cliquant sur le lien vers votre livre, j’ai appris que vous étiez également enseignant de Lettres ! Je vous félicite donc, cher collègue, à la fois pour votre très bonne chronique sur Klaus Schulze mais aussi pour votre recueil de nouvelles, dont je viens de lire quelques extraits (et qui est désormais dans mes tablettes) !