jeudi 9 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (4)

PICTURE MUSIC
(1973)
Brain records

Programme :

FACE 1 : Totem (23'45)

FACE 2 : Mental door (23'00)

Après IRRLICHT (1972) et CYBORG (1973) qui invoquaient les espaces sidéraux, c'est à un changement de cap radical que nous invite Klaus Schulze dès son 3°opus. Autant sa musique jusqu'ici fréquentait des sphères sombres et éthérées, autant PICTURE MUSIC se pose sur une base infiniment plus tellurique. Dès les premières secondes de Totem, se met en marche une pulsation organique qu'aucun répit ne viendra altérer au moins jusqu'à la 15°minute. Le plus étrange dans ce premier titre de l'album, c'est que, derrière cette pulsation séquencée aux puissantes résonnances de basse, évolue une mélodie improvisée épousant les circonvolutions sinueuses de l'ARP Odysee, mélodie langoureuse incitant à la méditation. C'est ainsi sur le contraste saisissant entre les textures organique et mentale que se déploient les 23 minutes de Totem. Dans les cinq dernières minutes de cette composition, Klaus Schulze nous offre même un instant magique quand la partition synthétique se fige alors que l'écran sonore se voit barbouillé de notes liquides qui s'entrechoquent dans une cacophonie étrangement harmonieuse.

Ce disque marque aussi l'apparition des premiers synthétiseurs qui apportent à la musique électronique de nouveaux sons analogiques dont bénéficie la même année le magnifique PHAEDRA de Tangerine Dream. Les auditeurs de l'époque, friands de découvertes et d'expériences sensorielles, accueillent cette musique comme ils ont accueilli auparavant celle des Doors et de Pink Floyd. La presse musicale ne tarit pas d'éloges quand il s'agit de présenter des oeuvres d'avant-garde qui propulsent la sphère rock sur des territoires inexplorés jusqu'alors.

La comparaison entre PHAEDRA et PICTURE MUSIC réserve ainsi quelques surprises. Tangerine Dream exploite les nouveaux sons analogiques pour mieux transporter l'auditeur dans une autre dimension cosmique, ce qu'avait fait aussi Schulze avec CYBORG. Et pourtant, PICTURE MUSIC semble jaillir d'un espace plus intime encore, celui dont sont tissés nos souvenirs. Cette oeuvre atypique de Schulze, par laquelle j'ai débuté dans la connaissance de sa discographie, explore des territoires intérieurs s'adressant exclusivement à l'intellect, musique étonnamment cérébrale s'il en est qui n'a besoin d'aucun débordement lyrique. PHAEDRA entraîne l'auditeur à sortir de lui-même, PICTURE MUSIC au contraire le ramène à lui pour le confronter à son inconscient. Dans ce sens, le 3°opus de Schulze se montre voisin, dans l'esprit, des méditations boudhistes dans son art à sonder le tréfonds des ondes cérébrales.
Le second titre, Mental door, débute et se conclut lui aussi par une longue plage méditative, mais Klaus Schulze la brise brutalement par une improvisation aux synthés qui introduit, de manière totalement imprévue, un mouvement funky auquel il ne nous avait pas habitué dans ses deux premiers opus.

Etrangement, il existe 3 pochettes officielles de PICTURE MUSIC. Une fois n'est pas coutume, celle de Urs Ammann (une pièce carrée au sol en damier au plafond de laquelle est crucifié un homme nu) est loin d'être ma préférée. Celle montrant un terrain vague au milieu duquel traîne, abandonné, un cadre-photo figurant le portrait d'un enfant me fascine littéralement. Cette musique est celle qui génère en moi les images les plus fortes. Dès la première écoute de Totem, j'ai conçu un film dont les images virtuelles épousent les circonvolutions cérébrales des synthétiseurs. Le titre du disque m'impressionne : Klaus Schulze avait-il conscience du pouvoir cinégénique de sa musique ? Quelques années plus tard, il expliquera dans le livret de MIRAGE, son 8° album, que sa musique ne porte en elle aucun message pré-établi, que liberté est laissé à l'auditeur d'y poser ses propres images, de lui transférer le sens qu'il veut bien lui donner. Et aucun disque ne me paraît aussi exemplaire de cette démarche artistique que le bien nommé PICTURE MUSIC. Cette musique me connecte à l'enfant dont subsistent en moi des traces. C'est pourquoi la pochette du portrait me sidère autant. Rarement j'ai noté une telle synergie entre une musique et l'illustration de sa pochette.






pochette de Urs Ammann





pochette de Jacques Wirtz


Toute proportions gardées, Steve Roach, admirateur du Schulze de la première période, saura se souvenir des ambiances introspectives de PICTURE MUSIC lorsque paraîtra son légendaire STRUCTURES FROM SILENCE (1984).

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