lundi 5 novembre 2007

River Phoenix : un ange est passé...



La disparition d'un immense acteur est toujours vécue comme une perte douloureuse. Il en est qui, au terme d'une carrière monumentale, ont eu le loisir d'explorer toutes les facettes de leur talent. Et il en est d'autres dont la mort est intolérable parce qu'elle les a fauchés à l'aube d'un talent irradiant.
River Phoenix fait partie de ces artistes prématurément disparus, mais en l'état actuel de sa filmographie, il a suffi de deux chefs-d'oeuvre pour qu'il devienne une icône dans mon panthéon intime. Non pas une icône abstraite, éthérée, non, une icône douloureusement humaine, fragile, mais forte des valeurs qu'il véhiculait à travers ses rôles.
Comme tous les anges, River ne pouvait que passer ici bas. Il avait compris ce que tous les acteurs de sa génération ne comprendront peut-être jamais, ou si tardivement.
Le plus bouleversant dans ses interprétations réside dans la fusion inextricable entre la pureté absolue des personnages qu'il a défendus avec une sensibilité inouïe, et le caractère sordide, très douloureux, de leur vie.
River Phoenix planait au-delà de l'entendement; en cela, je n'ai pas honte de le faire figurer auprès d'un génie tel Arthur Rimbaud dont il s'apprêtait d'ailleurs à endosser l'habit auprès de John Malkovitch (lequel aurait interprété Verlaine), dans un film que Agnieszka Holland (ex assistante de Kieslowski et réalisatrice du splendide Jardin Secret) devait consacrer aux deux poètes maudits français. Ce film a été réalisé après la mort de River Phoenix, lequel fut remplacé par Leonardo di Caprio. Quel gâchi ! Di Caprio est un ersatz de Phoenix, il n'a jamais eu ne serait-ce qu'une fibre de l'ombre de son talent.
Trois films me paraissent résumer la carrière de cet acteur américain, né en 1970, issu d'une famille nombreuse, élevé par des parents hippies qui n'ont cessé de voyager dans tout le continent américain, nomades dans l'âme tout imprégnés qu'ils étaient des forces vives de Dame nature. D'ailleurs, il n'y a qu'à comparer les prénoms qu'ils ont donnés à leurs enfants : River, Joaquim, Rain, Summer, pour s'assurer de l'originalité du mode de vie qu'ils avaient adopté.
Ces trois films sont : Stand by me, Mosquito coast et My own private Idaho.
STAND BY ME (Rob Reiner, 1986)
River Phoenix (second à partir de la gauche) est Chris Chambers, un pré-ado épris d'absolu : voir la scène bouleversante où son personnage est prêt à remplacer le père de son ami Gordie Lachance (sur la photo à sa gauche) afin de le convaincre de poursuivre ses travaux d'écriture car il voit en lui un futur grand écrivain. Dans les années soixante, Chris Chambers subit les préjugés de la société qui ne voit en lui que le fils de Timbull Chambers, autement dit un voyou. Cette sordide réputation lui colle à la peau, alors que Chris Chambers est un adolescent d'une fidélité à ses amis Teddy, Verne et Gordie, proportionnelle au manque d'amour dont il jouit dans sa famille. Chris a grandi dans un milieu familial que l'on devine sans aucun repère. Son père se saoule à la bière, et sa mère, jamais évoquée, probablement droguée ou décédée. Et pourtant, malgré ses souffrances, c'est quelqu'un toujours prêt à régler les problèmes, à tenter la réconciliation avec ses amis : voir la belle séquence où Chris engueule Teddy parce qu'il s'est amusé à esquiver un train et qu'il aurait pu y rester. Chris n'a aucune illusion dans la vie. Il sait que Teddy mourra jeune, et il a compris aussi que Gordie est le fils devenu transparent à la maison depuis le décès accidentel de son grand frère. Cette sensibilité écorchée vive trouve un écho admirable dans la pureté de ses élans affectifs. Après avoir fait la course avec Gordie, il empoigne son ami par le cou avec une boulevesante sincérité. Quand il évoque son cauchemar, dans la forêt, et qu'il s'effondre en larmes, c'est toute la désillusion d'une âme blessée qui s'exprime : en effet, un professeur pour qui il avait une réelle admiration lui a volé de l'argent que lui-même avait volé, sauf que lui a été sanctionné pour cet acte, et son professeur resté en toute impunité.
Comment River Phoenix, ayant grandi dans un cercle familial très aimant et libertaire, a-t-il pu donner corps à un personnage aussi désemparé, un orphelin affectif ? Il s'agit là du mystère inhérent à la grâce. Il dévoile toutefois un aspect central de l'acteur : son extraordinaire empathie envers ceux qui souffrent, sa capacité étonnante de compréhension de l'humain.
MOSQUITO COAST (Peter Weir, 1987)
A priori, le personnage de River Phoenix dans le beau film de Peter Weir n'a aucun rapport avec celui de Chris Chambers dans Stand by me. Et poutant, il s'agit là encore d'une vie meurtrie. L'adolescent est l'aîné d'une famille de quatre enfants. Comme eux, il voue une admiration sans bornes à son père, Allie Fox, génial inventeur, marginal dans une société de consommation qu'il juge décadente et qu'il ne reconnaît plus. Harrison Ford, dans ce film, exploite des talents d'acteur jusqu'alors ignorés, audace qu'il ne retrouvera jamais plus par la suite. Je suis fier que ce soit Peter Weir qui lui ait offert son rôle le plus risqué, le plus original. Mel Gibson n'a jamais été meilleur que sous la direction de Weir : Gallipoli, 1979 (film honteusement méconnu, L'année de tous les dangers, 1982 - ce qui confirme le talent de directeur d'acteurs de ce cinéaste australien expatrié aux USA. River Phoenix ne manque pas d'amour dans ce film. Mais son père l'aime-t-il parce que son fils le suit dans tous ses périples, jusqu'à l'abnégation, ou bien l'aime-t-il pour ce qu'il est ? Allie Fox a le projet de fonder une communauté en Amazonie qui reviendrait à des valeurs primitives, et il entraîne dans sa folie toute sa famille. Au fur et à mesure du récit, le génial inventeur se révèle un dictateur incapable de saisir la part d'abnégation qu'il réclame des siens, et qui va les entraîner avec lui dans sa chute. Voilà la tragédie d'un adolescent aveuglé par l'amour de son père et qui découvre que son optimisme forcené cache un tyran illuminé, un inadapté. River Phoenix interprète ce jeune homme avec une sobriété bouleversante, qui contaste avec le jeu extraverti de Ford. Le film de Peter Weir entretient des liens étonnant avec ceux de Werner Herzog, notamment dans le portrait qu'il brosse d'un tyran imbu de lui-même jusqu'à défier Dieu, et à s'y perdre. Ne reconnaissez-vous pas Aguirre ou la colère de dieu ?
MY OWN PRIVATE IDAHO (Gus Van Sant, 1994 ?)

Couronné du prix d'interprétation masculine au festival de Venise, River Phoenix termine sa carrière avec ce film poétique. Mike et Scott sont deux amants prostitués. Scott a devant lui un avenir déjà tout tracé (il devra reprendre la succession de son père), alors que Mike recherche, dans la solitude du bitume, ses origines : une mère dont il n'a que de vagues souvenirs de films super 8 fauchés, et un père inconnu. Mike est aussi atteint d'une maladie assez rare, qui le voit s'évanouir à tout instant de la journée : la narcolepsie. La silhouette de River Phoenix au milieu d'une route ne menant nulle part est restée et restera à jamais gravée dans ma rétine. Il compose un personnage déchirant, abandonné de sa famille, et tentant de survivre comme il peut, obligé de se prostituer, et vouant un amour délicat à son meilleur ami : Scott. Je me sens incapable de décrire la sensibilité de son jeu. Ce rôle présentait tous les pièges du mélodrame : Mike est un paumé au grand coeur qui rêve des bras de sa mère dont il a été arraché précocément. Mais River Phoenix, par la justesse incroyable de son jeu, évite tous ces écueils avec un talent rare. Le couple qu'il forme avec Scott (Keanu Reeves) est inoubliable. La magnifique séquence auprès d'un feu de camp au cours de laquelle Mike, transi et totalement renfermé dans sa souffrance, déclare fort maladroitement son amour pour Scott rejoint celle où Chris Chambers s'effondre en larmes lui-même auprès d'un feu de camp dans Stand by me. La fragilité que nous lisons sur son visage exprime la déchéance de ces êtres que la vie n'a jamais épargnés, et qui, résignés, poursuivent leur chemin errant, trop détruits pour pleurer, trop démunis pour se défendre, enfin trop peu sûrs d'eux pour exiger quoi que ce soit de ceux qu'ils aiment. C'est ce sentiment d'inertie que l'acteur exprime avec une force saisissante : quels que soient les événements qu'il traverse, les plus sordides comme les plus tendres, Mike garde, indélébile, ce regard d'enfant insondable que plus rien ne peut sauver.




8 commentaires:

Anonyme a dit…

Je partage avec toi l'admiration devant cet acteur talentueux et je regrette tellement sa mort...
Merci pour cette évocation émouvante...

Lamousmé a dit…

je partage totalement l'avis de ce billet très brillant (à l'instar de cette étoile fillante)!!!!

Guillaume a dit…

J'appréciais enormément River Phoenix egalement, dans ce très beau "Mosquito Coast" mais aussi dans le méconnu "Explorers" de Joe Dante. Ravis de découvrir ton blog fred et je vois pas mal de goûts qui convergent au niveau musical aussi (je suis très fan de Kate Bush, Glass, Nyman, Amos...).

Holly Golightly a dit…

J'avais déjà ce billet et j'y reviens pour les raisons que tu sais...
Je t'en dirai plus un autre jour.
Je te trouve un peu sévère envers Leonardo. Je n'étais pas une fan de cet acteur - un a priori, en vérité - et puis je l'ai découvert à travers la caméra de Scorsese et j'ai changé d'avis.

fred a dit…

Ishmaël : Je ne connais pas "Explorers", mais en effet, nous partageons un goût commun pour pas mal d'artistes, ce que m'a confirmé ma visite dans ton espace public. Sois le bienvenu ici.

Holly : Je suis sévère avec di Caprio parce que je n'ai pas accepté la mort de River Phoenix. Mais je dois aussi avouer n'avoir vu qu'un film de Scorcese avec Leonardo, "Gangs of New York", film qui m'a laissé "de glace". Il faudrait peut-être que je visionne les autres oeuvres qu'il a réalisées avec cet acteur qui semble devenu son comédien fêtiche.

marion a dit…

Ce post est magnifiquement bien écrit, tu as su parfaitement mettre en mots ce que je ressens pour River et son jeu dans chacun de ses films. MERCI !!!

nico a dit…

C est avec cet acteur que j ai fais connaissance avec le cinema , j aurais tant aimé qu il soit encore la :-( prédis a une immense carriere c'était le plus doué de sa generation... leo c est avec lui que g grandit ce que je ressens pour cet acteur est indescriptible , c un trés grand !! le meilleur pour moi alors ce que j aurais souhaité c pouvoir assister a la rencontre de ces deux monstres du cinema dans le meme film !! mais la vie....

Anonyme a dit…

bien plus tard, en 2018, on se rapelle encore de lui