lundi 26 novembre 2007

Sagesse de l'enfance


Dans mon métier, l'enseignant est souvent déçu du décalage entre ce qu'il croit avoir inculqué à ses élèves et la réalité du travail qu'ils lui rendent.

Qu'est-ce qui me motive à continuer ? Tout d'abord, j'aime transmettre les lois du langage. C'est par le langage que mes pré-adolescents, et mes adolescents, vont se construire une image de la société qui les entoure et qu'ils s'apprêtent à introniser. C'est par le langage qu'ils pourront plus tard se forger une identité, et, je l'espère, une conscience. C'est par le langage enfin qu'ils se prémuniront contre les charlatans qui veulent leur faire passer des vessies pour des lanternes. Notre société fait une piètre démonstration du langage, elle l'a appauvri par son goût de l'hyperbole. Mais quelle que soit la société que nous construisons pour l'avenir, le pouvoir appartiendra toujours à ceux qui maîtrisent le langage, que ce soit pour défendre les droits humains ou pour asservir les citoyens par de creux discours habilement maquillés en énoncés qui font sens.


Mais ce n'est pas un discours philosophique que je veux exprimer ce soir. Dans mon métier, parfois surgit une perle de la grisaille quotidienne, un instant d'émotion qui vous étreint pour le restant de la journée, parfois du mois. Ca peut être le regard pétillant d'intelligence d'un enfant qui découvre les beautés cachées d'un texte, ou alors une parole lumineuse lâchée dans la masse des vacuités habituelles.


Je voudrais vous parler de Justine, une jeune fille à présent, qui termine sa dernière année au collège. Depuis son arrivée en sixième, ses résultats culminent dans l'excellence, et ce sans jamais qu'elle se départisse d'une réserve naturelle où je lis surtout une forme d'humilité rare. Il y a environ trois ans, en sixième justement, je faisais étudier à sa classe l'Odyssée d'Homère. Une présentation des dieux de l'Olympe a naturellement entraîné une interrogation sur l'immortalité que beaucoup parmi mes élèves enviaient. Ils ne comprenaient pas pourquoi nous devons tous mourir un jour. C'était la première fois que des élèves m'entraînaient, à la suite d'une lecture d'Homère, sur ce sujet hautement philosophique. Je n'ai pas censuré le débat qui s'ensuivit. Tous voulaient me confier ce qu'ils feraient si on leur offrait l'immortalité. Je n'ai rien retenu de leurs confidences, pour le moins banales, mais je crois que j'ai gravé dans ma mémoire, d'une pierre dorée, la confidence de Justine, qu'elle a simplement formulée de sa voix douce et égale. Devant ses camarades médusés, ou qui ne pouvaient accéder au sens profond de son intervention orale, elle a glissé ces paroles inoubliables que je résume en les réinterprétant :


"Moi, je ne voudrais pas être immortelle. Quand on est mortel, on apprécie mieux la vie."


Il n'y a rien à ajouter, seulement rappeler que la vérité qu'elle venait d'énoncer, certaines personnes n'y accèdent que tard dans leur vie, et parfois même jamais. Quelle leçon d'humanité !


Merci Justine pour ta sagesse. Elle est un enseignement pour moi.

2 commentaires:

Guillaume a dit…

C'est amusant, ton élève est une épicurienne d'instinct :)

Holly Golightly a dit…

Et elle n'avait pas lu Simone de Beauvoir.
J'ai longtemps pensé comme cette remarquable enfant.
Mais, peut-être est-ce une régression de ma part, j'aimerais bien être immortelle...