samedi 4 avril 2009

Klaus Schulze : le roi de la musique électronique (1)

Deux événements sont à l'origine de mon désir de vous faire partager ma passion pour la musique du très grand compositeur allemand Klaus Schulze.

-tout d'abord, l'initiative fort judicieuse du label InsideOutMusic, spécialiste du rock progressif, de rééditer la discographie complète de cet artiste exceptionnel, en respectant les couvertures d'origine emballées dans de beaux digipacks et pourvus d'un livret passionnant où le maître présente chaque album en le resituant dans son contexte historique. L'intérêt de ces rééditions, qui sont loin d'être achevées, réside dans le bonus inédit qui enrichit généreusement chaque galette et lui fait avoisiner la durée de 80 minutes.
-l'autre événement est le concert que Klaus Schulze a donné lors du festival de Loreleï de juillet dernier et pour lequel se sont déplacés ses fans du monde entier. C'était la première fois que j'assistais à un concert de ce compositeur qui me fascine depuis plus de vingt ans.

Un peu d'histoire s'impose si vous voulez comprendre l'enthousiasme qui m'habite dès que je suis en contact avec la musique électronique de Schulze.

En 1988, je suis inscrit en hypôkhagne, au lycée Thiers de Marseille. J'ai 18 ans, et des rêves plein la tête. C'est la première année que je quitte le nid familial et cela me procure des envies d'évasion. Sauf qu'en hypôkhagne (Lettres Supérieures), l'évasion n'est pas vraiment sollicitée en raison du travail acharné auquel on nous soumet en Littérature, Histoire, Anglais, Italien, Latin, Philosophie. Très rapidement, mes résultats se révèlent catastrophiques dans toutes les disciplines. Je comprends alors que ma modeste mention Assez Bien au Baccalauréat, obtenue la même année en juin à Avignon, n'est pas suffisante pour briller dans cette section prestigieuse fabriquant l'élite de la Nation. Alors, loin de me morfondre, je profite des plaisirs qu'offre la cité phocéenne. Pour moi, le rendez-vous majeur se trouve à la FNAC où l'étalage de disques me donne le vertige en manquant me faire succomber à un orgasme musical.
A cette époque, une boulimie de découvertes musicales me transporte irrésistiblement vers des contrées inexplorées. Alors que Dire Straits cartonne au box office des meilleures ventes d'albums, je m'intéresse quant à moi à des musiques différentes. Les pochettes d'albums du groupe Cocteau Twins me fascinent, mais j'ai peur de tenter l'aventure, le prix des disques étant souvent rédhibitoire pour moi, alors simple étudiant. Je découvrirai Cocteau Twins bien plus tard, et ce sera l'un des deux ou trois chocs musicaux de ma vie estudiantine.
Ma rencontre avec le magicien Klaus Schulze a inauguré chez moi une phase épidermique. Il y a eu tout d'abord cette pochette de disque, ô combien géniale !



Picture music, 1973

Je dois préciser que Klaus Schulze demeurait alors un parfait inconnu à mes yeux. La pochette de Picture music a jailli jusqu'à moi pour atteindre l'intimité la plus secrète de mon être. Il y avait ce cadre, le portrait d'un enfant, qui m'adressait des ondes subliminales me connectant avec la part la plus mystérieuse de ma sensibilité : mon rapport à l'enfance et tous les sortilèges qu'elle renferme. Une envie irrépressible m'a fait commettre l'irréparable : j'ai acheté le vinyle sur la base d'une seule image. Mais quelle image ! Je m'intéressais énormément déjà à la photographie que je pratiquais en amateur. Et la photo de couverture de cet album étrange ressemblait à cette photo idéale que je rêvais de prendre depuis des temps immémoriaux. J'étais jaloux qu'un photographe m'eût dérobé l'idée. Le disque datant de 1973, je n'étais pas en avance. Mes fantasmes artistiques avaient déjà été piétinés par d'autres bien longtemps avant moi.

L'écoute du disque a achevé de parfaire l'envoûtement suscitée par l'illustration de pochette. Aucune musique ne pouvait mieux traduire l'indicible présence qui hante la photographie.

Je n'ai pas tardé à découvrir dans les bacs de la FNAC d'autres disques de Klaus Schulze que mes doigts soupesaient, effleuraient avec une gourmandise sans cesse renouvelée. Mes résultats d'étudiant en hypôkhagne ne se sont pas forcément améliorés, mais j'étais protégé depuis ma rencontre avec le magicien des sons électroniques. Je n'avais pas pu écouter mon premier vinyle acheté car, à Marseille, je ne possédais pas de lecteur de 33 Tours. Il m'a fallu profiter d'un week-end où je rendais visite à mes parents pour me faire une copie cassette de Picture music grâce aux appareils HI-FI de mon père. C'est ainsi que sur mon baladeur, j'ai pu savourer la douceur et l'étrangeté de ce disque qui répondaient à mes meilleures attentes musicales.

Quand je me rendais à la FNAC, les bacs de Schulze étaient devenus mon passage obligé. Les vinyles défilaient sous mes doigts électrifiés. Et au cours de la saison scolaire 1988-1989, j'ai dilapidé tout le rayon Schulze de la FNAC. Je comprends aujourd'hui que j'étais l'unique acheteur friand de cet artiste à cette époque à Marseille. La FNAC se rendait compte que les vinyles de Schulze partaient comme du petit pain, ce qui incitait les marchands à achalander régulièrement son rayon. Vous me direz que je jouais dans cette histoire le dindon qu'il fallait plumer et qui se laissait plumer autant de fois qu'il trouvait un nouveau disque du compositeur allemand disponible dans les bacs. Tout cela est exact, mais en tant qu'acheteur, ce n'est pas un disque que j'achetais, c'était un univers fascinant, unique, une musique s'adressant à l'intellect en passant par le canal de l'émotion. Quand est arrivé le mois de juin de la même année, je m'étais déjà procuré les vinyles suivants de Klaus Schulze :

Picture music / Blackdance / Timewind / Moondown / Bodylove / Dune / Digit / Trancefer / Dreams / Interface / Babel / En=trance

Je n'achète plus de disques de manière aussi compulsive à présent, mais le récent retour à l'actualité de Schulze à l'occasion des rééditions de toute son oeuvre m'a conduit à me procurer la version CD de la plupart de mes vinyles, ce qui démontre, s'il en est, la folie qui me gagne dès qu'il s'agit du roi de la musique électronique.

Maintenant, je vous invite à découvrir ces disques qui me hantent toujours autant de nos jours. Tout ce qui jaillit de cet artiste est pailleté d'or, et tant pis si sa production pléthorique (plus de cent disques) s'accompagne de déchets inévitables : comme l'a affirmé Schulze lui-même : "L'art n'est pas qualité mais quantité".


Blackdance (1974)


(à suivre...)

12 commentaires:

Wictoriane a dit…

Cher Fred,
quel plaisir de te lire à nouveau (ou de nouveau ? je ne sais l'expression exacte) j'aime bcp les pochettes des disques et, bien sûr, je n'ai jamais entendu parler de Klaus Schulze, toute une éducation...
Amicalement

fred a dit…

Chère Wictoria,
je suis heureux de pouvoir faire partager mon admiration pour Klaus Schulze, musicien exceptionnel que j'écoute sans répit depuis vingt ans. J'espère que cela t'ouvrira de nouveaux horizons musicaux. Cet artiste a eu beaucoup de succès en Europe dans les années 70. Depuis, il est retombé dans un anonymat relatif, malgré la centaine de disques qu'il a produits jusqu'à nos jours.
Sur mon blog, je compte chroniquer ses disques les uns après les autres, et confier la résonance profonde que cette musique trouve en moi.
Je suis d'accord avec toi, les pochettes de ses disques sont fascinantes : des oeuvres d'art à part entière. Je les imprimerai à chaque article que je consacrerai à ses oeuvres.

Cyril P. a dit…

Ahah, excellente nouvelle série Fréd. Ce que le monde de la musique doit aux gens comme Schulze, Froese, Fricke, Can, Kraftwerk restera à jamais lettre morte.

Wictoriane a dit…

je viens d'aller chercher sur you tube à quoi cela ressemble... je suis tombée sur un morceau de Klaus Schulze & Lisa Gerrard ! magnifique !

Wictoriane a dit…

dans un tout autre genre, j'ai aimé à cette "époque" Kraftwerk, bon c'est moins mélodieux...mais j'étais si jeune !

Wictoriane a dit…

et j'ai toujours aimé le "décalé"

fred a dit…

Chère Wictoria,

J'adore Kraftwerk, autre groupe allemand de musique électronique né à la même époque que Klaus Schulze mais officiant dans un style totalement aux antipodes, froid, robotique, minimaliste, là où Schulze préfère déployer des sons chauds, pleins. Tu n'a pas à rougir d'avoir été fan de Kraftwerk. Après une période où il était bon de les rejeter, le monde de la musique pop rock a dû se rendre à l'évidence : des groupes actuels n'existeraient pas sans Kraftwerk, notamment Depeche Mode qui s'en est largement inspiré à ses débuts. Kraftwerk est probablement aussi à l'origine de la techno. En somme, ce groupe est fantastique.
Le morceau que tu as écouté de Schulze et chanté par Lisa Gerrard est sans doute issu de l'album Farscape sorti chez les disquaires cet automne. C'est la première collaboration de ces deux artistes d'exception.

Guermantes a dit…

Je suis arrivée ici en découvrant « Farscape » et c’est un véritable plaisir de lire votre chronique sur Klaus Schulze !
Personnellement j’ai un peu de mal avec Irrlicht et Cyborg mais Blackdance est superbe et je suis fascinée par des morceaux comme « Mental door – Beyreuth Return ou Floating ».

Dans un autre style « We are the robots » de Kraftwerk est juste génial !!

Je reviendrai vous lire,

Guermantes

fred a dit…

Merci à vous Guermantes. Je caresse le projet de parcourir la discographie de Klaus Schulze, au moins jusqu'aux années 80. Il est vrai que Irrlicht et Cyborg sont des albums difficiles d'accès, et j'ai mis du temps à les goûter à leur juste valeur. Mais je leur préfère Blackdance comme vous et Picture Music. Votre pseudo m'envoie aux narines des effluves d'un de mes auteurs préférés. Vous m'intriguez... Vous êtes la bienvenue sur mon site quand l'envie vous en prend.

Guermantes a dit…

Merci pour votre accueil Fred. Je suis contente d’apprendre que vous allez commenter toute l’incroyable discographie de Schulze, et j’espère même que vous ne vous arrêterez pas aux années 80 :-)

Pour Irrlicht et Cyborg je dois dire que je n’ai écouté les albums qu’une seule fois, alors mon impression reste très « épidermique », mais je vais y rejeter une oreille à la lumière de vos explications !
En vous lisant, j’ai même eu envie d’écouter le fameux album Oxygène, jamais entendu en entier à ce jour…

C’est sympa d’apprendre que vous êtes également un grand lecteur de Proust, Le lien avec Klaus Schulze n’étant pas vraiment évident !

Anonyme a dit…

Bonjour,

C'est bien la première fois que j'écris un commentaire en ligne. Mais, j'ai lu avec plaisir ta prose (comme quoi les lettres ne t'ont toutes quittées). J'y ai retrouvé un part de mon adolescence, lorsque dans les années 70'-80', j'ai découvert Klaus Schulze. Inscrit dans une bibliothèque (avec disques), les Beatles (que j'ai donc connus bien après !) et autres étant indisponibles, je louais des Magma, Jean-Michel Jarre (confidentiel à l'époque), etc. Ca m'a d'ailleurs évité des ennuis le jour où je me suis fait menacé au couteau par des voyous. Devant ma réponse : Klaus Schulze !, à la question : C'est quoi ta musique préférée ? Interloqués, ils me laissèrent partir.

Cordialement

Unknown a dit…

Comment éprouver une telle plénitude si ce n'est en écoutant Klaus Schulze que je suis dans sa traversée depuis tant d'années? depuis 1973 ,puis... que j'ai laissé tomber pour y revenir récemment...
C'est toujours des éclairs de lumière et je reste émerveillé.
Bravo Klaus SCHULZE.
A quand un concert en France?