mercredi 10 octobre 2007

Le vent Paraclet ou la solitude de l'homme occidental


Sur les conseils de Holly, j'ai emprunté à la médiathèque un livre de Michel Tournier, auteur français qui ne m'est nullement familier. J'ai choisi Le vent Paraclet comme point de départ car il s'agit d'une sorte d'autobiographie intellectuelle où il s'explique sur ses oeuvres et nous offre l'opportunité de pénétrer dans "l'antichambre" (encore merci à Holly pour cette belle expression) de Vendredi ou les limbes du Pacifique et du Roi des Aulnes. Tout ce qu'il raconte concernant son rapport à la germanité a été pour moi une découverte. Je retiens aussi l'idée qui préside à son ambition d'écrivain : si Gide, son auteur préféré, déclarait écrire des livres faits pour être relus, en revanche Tournier, lui, ambitionne écrire des romans pour être lus une fois, avec l'espoir que ses oeuvres agissent sur le lecteur comme une reconnaissance, à la manière des grands récits fondateurs qui mettent en scène des personnages élevés au rang de mythe, au point que leur nom est devenu un emblême qui recouvre même l'auteur qui les a créés. Tournier rêve pour l'avenir que seules ses oeuvres restent dans l'inconscient collectif, même si son patronyme en tant qu'écrivain doive rejoindre l'oubli.


Il est un passage de son Vent Paraclet qui m'a bouleversé par sa justesse : évoquant le mythe de Robinson, il écrit : "Robinsonse présente d'abord comme le héros de la solitude. Jeté sur une île déserte,orphelin de l'humanité tout entière, il lutte des annéescontre le déserspoir,la crainte de la folie et la tentation du suicide. Or il me semble que cette solitude grandissante est la plaie la plus pernicieuse de l'homme occidental contemporain. L'homme souffre de plus en plus de solitude, parce qu'il jouit d'une richesse et d'une liberté de plus en plus grandes. Liberté, richesse, solitude ou les trois faces de la condition moderne. Il y a encore moins d'un siècle, l'Europeen était lié par sa famille, sa religion, son village ou le quartier de sa ville, la profession de son père. Tout cela pesait sur lui et s'opposait à des changements radicaux et à des options libres. C'est à peine s'il choisissait sa femme, et il ne pouvait guère en changer. Et toutes ces sujetions s'aggravaient du poids des contraintes économiques dans une société de pénurie et d'apreté/. Mais cette servitude soutenait et réchauffait en même temps qu'elle écrasait. On retrouve cela aujourd'hui quand on voyage dans les pays dits sous-développés. A coup sûr pas sous l'angle des relations inter-humaines. Dans ces pays, rarement un sourire adressé à une inconnue reste sans réponse. Il vous revient aussitôt, comme la colombe de l'archhe de Noé fleurie d'un rameau d'olivier. Spontanément un enfant vous aborde dans la rue et vous invite à venir prendre le thé avec sa famille(...) Après cela, débarquant à Marseille ou à Orly, on a froid au coeur en voyant ces visages de bois, tous ces visages morts, en sentant les ondes répulsives émises par chacun à l'encontre de tous les autres. Oui, nous vivons enfermés chacun dans notre cage de verre..."

Ici, Michel Tournier exprime une évidence dès qu'on fait l'effort d'observer les gens autour de soi. Je ne puis aborder quelqu'un dans la rue sans qu'il ne trouve mon élan social louche. On se comporte comme s'il fallait un code pour aller vers autrui. Je mets cela sur le compte de la peur, de l'égocentrisme, de l'indifférence, de la paresse.

Voilà au fond la source principale de ma douleur secrète et quotidienne.

3 commentaires:

Lamousmé a dit…

tout est dit des les premiers mots....et comme les amis de mon amie etc etc.... bon vent à ce nouveau blog!!! ;o)

amaragne a dit…

Aujourd'hui dimanche je découvre ton invitation et m'en vais avec grand plaisir vagabonder entre tes lignes... Et j'y entends des mots, qu'il serait difficile d'entendre là où d'ordinaire nous nous croisons, et qui me touchent et m'intéressent. Merci donc de me laisser plonger dans ton univers, au coeur d'un espace-temps différent, et de pouvoir ainsi créer un lien d'une autre nature. Aujourd'hui dimanche j'ouvre ton blog pour la première fois et j'ai la surprise d'y respirer le Vent Paraclet, un parfum d'antan qui ressurgit car, le savais-tu? j'ai écrit il y a bien longtemps un mémoire sur le Roi des Aulnes...
Qui suis-je? Je m'invente un pseudo pour l'occasion, et te livre quelques indices en guise de jeu de piste : nous nous sommes déjà fait une toile ensemble, et auparavant je t'en avais offert une, d'une autre nature, mais non moins sombre, pour ton anniversaire... A bientôt!

Holly Golightly a dit…

Michel Tournier, qui est un peu ogre, certainement, est un auteur important pour moi et je suis heureuse que tu trouves un écho en lui.
Je crois que c'est seulement la peur qui retient les gens, la peur et leur habitude prise, jour après jour, de jouer faux... Moi-même, pourtant consciente de ceci et y résistant de toutes mes forces, ait un premier mouvement de fuite.
Merci Frédéric.