lundi 14 avril 2008

WINTER (chapitre 4)


IV

Le studio au rez de chaussée débordait d'agitation. Dans deux coins de la salle, trônaient des éclairages qui formaient sur le sol des serpentins noirs enchevétrés. Je n'ai aucun sens de la technique, c'est pourquoi j'admire tant ceux qui la maîtrisent au point de la mettre au service de l'art. Cindy m'a montré de plus près la fausse cloison du fond, celle dans laquelle avait été pratiquée l'ouverture rectangulaire. Elle voulait s'assurer, pour les deux scènes d'ouverture et de clôture du clip, que je pouvais la franchir sans difficulté. La première fois n'a pas été très concluante. En effet, je devais lever ma jambe droite à une hauteur inhabituelle qui s'accordait assez mal à ma propre démarche.
-Il faut que tu puisses marcher normalement et franchir le mur sans trop d'effort, me disait la réalisatrice.
Après plusieurs essais, j'ai fini par prendre le pli en limitant de façon satisfaisante certaines contorsions corporelles indésirables selon Cindy. Une dernière fois, elle m'a demandé de traverser la cloison pendant qu'elle accompagnait latéralement mon déplacement, ses deux mains esquissant l'objectif d'une caméra, en un seul plan qui partait d'un côté de la cloison pour se terminer de l'autre côté.
-Chouette, s'est-elle écriée, j'ai mon plan. C'est génial. Comme je ne comprenais pas vraiment son intention, elle a pris ma place et m'a demandé de la suivre à mon tour comme elle l'avait fait avec moi à l'instant. J'ai alors compris que c'était un plan classique qui donnait la sensation magique au spectateur de passer à travers la cloison.
-Tu portes ton débardeur bleu et ton pantalon gris au début du plan et, ensuite, de l'autre côté de la cloison, tu ressors tout de blanc vêtue.
-C'est impossible en un seul plan, ai-je rétorquée, naïve que j'étais.
J'ai entendu rire quelqu'un derrière moi. C'était un techniciens qui modifiait l'orientation d'une lampe.
-Sur la table de montage, c'est un jeu d'enfant, un plan pareil.
-Je suis chanteuse, moi, ai-je ajouté pour ma défense.
-Et j'adore vos chansons, s'est exclamé un autre gars perché sur une échelle et ajustant un filtre blanc devant un spot.
Après les techniciens éclairagistes, a débarqué un ami de Cindy avec son matériel sono. Durant les tournages, mon amie diffuse toujours en direct et dans de bonnes conditions sonores la musique que son clip est censé illustrer. Je n'apprécie pas trop de me plier aux règles ridicules du play back. Je préfère les vidéos qui ne montrent pas l'artiste en train de chanter. Cindy adore me voir chanter au contraire. C'est autour de moi qu'elle tisse peu à peu son univers visuel. Autant je n'ai aucun souci avec mon image médiatique, autant je ne me supporte plus dès qu'on me filme en train de chanter. Cindy m'a avoué une fois qu'elle comprenait ma pudeur et ma gêne, alors même qu'elle me sait loin d'être timide.
A l'apparition de Buster, la réalisatrice a subitement laissé au placard sa réserve habituelle. Elle a serré dans ses bras l'enfant qui lui réclamait un baiser. A califourchon sur elle, le garçon lui a présenté son nez qu'elle s'est empressé de connecter au sien. Cela peut sembler un cliché, je le sais, mais être témoin d'un instant d'intimité entre eux deux m'a émue à un point qui m'a surprise moi-même. Je me suis rendu compte alors que Cindy occupait dans ma vie une place privilégiée, plus importante en tout cas que je ne l'aurais cru au départ.
Quand les parents des jeunes figurants ont commencé à investir le studio, cela a fait monter d'un cran le volume sonore. La responsable du casting s'entretenait avec chacun d'eux. Parfois, elle m'interpellait pour qu'un père puisse avoir l'honneur de me serrer la main. Je ne sais jamais quoi dire dans ce genre de situation. Au-delà de mon image médiatique, je ne maîtrise en aucun cas l'impact que peut avoir Tori sur ses fans. J'en suis toujours très touchée, avec le sentiment étrange que l'artiste qu'ils viennent féliciter à la fin du concert a peu de rapport avec moi. Tel père demandait l'autorisation de rester pendant le tournage afin de partager l'expérience unique que son fils allait vivre. Cindy, à contrecoeur, a dû refuser sous le motif qu'un enfant, s'il sait que ses parents sont présents, perd alors l'état d'innocence qu'elle cherche justement à saisir avec la plus grande vérité possible.
Les quatre garçons n'ont pas tardé à se familiariser les uns avec les autres. Même Buster, que j'ai connu autrefois aussi timide que sa mère, discutait déjà avec eux. L'un d'eux est venu me trouver et, d'un sourire désarmant, m'a demandé :
-C'est toi qui chantes ?
-Oui, mais ce sera pour du faux cette fois.
-Ah bon, pourquoi ?
-Ca, il faut que tu demandes au monsieur qu'est là-bas, celui avec le casque sur les oreilles, en train de régler le son...
Tous les quatre n'ont pas attendu la fin de ma phrase pour se précipiter vers le pauvre technicien qui a vu se ruer sur lui les garçons avides de questions.
J'ai senti en moi monter l'exaltation de la scène, l'envie de donner le meilleur de moi-même, bien que je pense n'avoir aucun talent de comédienne. J'étais quelque peu effrayée par les perspectives du scénario élaboré par Cindy. Serais-je capable de suggérer au spectateur les différentes étapes que traverse mon personnage au fur et à mesure qu'il rajeunit ? Cela me paraissait un défi insurmontable. Et pourtant, une petite voix, que je connais bien car elle m'accompagne partout dans mes activités professionnelles, me lançait l'obligation d'être parfaite, ce qui augmentait le trac.
(à suivre...)

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