lundi 14 avril 2008

WINTER (chapitre 5)


V

Quand Lesley est arrivée avec son enfant, ni une ni deux, Cindy lui a arraché Ben des mains.
-Salut, je t'emprunte Ben. Tori et toi, vous montez à l'appart. Et fais gaffe avec le maquillage, vas-y tout doux.
J'étais ravie de revoir Lesley que j'avais croisée la première fois sur le tournage d'un clip de Trent Reznor où son art du maquillage avait ébloui mon ex. Lesley était une des rares gothiques de mon entourage à posséder cette élégance qui ne trompe pas. Sa démarche artistique outrepassait allègrement le cadre purement décoratif qui domine généralement la sphère gothique. Bien que ses tenues vestimentaires, d'un goût toujours affirmé, correspondent bien esthétiquement à la noirceur de mise chez les romantiques, elle peut tenir une vraie conversation hors des limites autorisées habituellement à tous ceux qui se réclament de ce mouvement et qui ont une fâcheuse tendance à l'obsession mono-maniaque.
Gothique, elle l'est jusque dans ses fibres maternelles au point qu'elle ne se sent pas obligée de garder automatiquement le masque figé de la souffrance. Une secrète mélancolie l'habite, j'en suis sûre, ce qui ne l'empêche pas par ailleurs d'afficher une certaine légèreté dans ses propos et ses manières. J'aime Lesley pour sa délicatesse dont elle ne se sert pas comme arme de séduction. C'est une femme épanouie, simple dans sa manière d'aborder les autres, et même capable de fantaisie.
Dans l'appart de Cindy, elle a déballé son attirail, ses poudres, rimmel, pinceaux à lèvres, fard, tubes de rouge, et s'est choisi un coin tranquille, près des fenêtres, pour y installer son espace de travail. Dans la partie kichenette, elle a repéré un tabouret vissant sur lequel elle m'a fait asseoir.
-Cindy veut du naturel... du naturel, tu comprends ça, ma Tori ?
-Je crois plutôt qu'elle te l'a précisé par précaution. Pour pas que tu me mettes trois couches de fond de teint blafard.
Elle s'est mise à rire car elle percevait très bien ce que ma remarque comportait de pied de nez au cliché le plus répandu chez les Gothiques.
-Tu vas voir ce que tu vas voir, m'a-t-elle affirmé, ou plutôt ce que tu ne vas rien voir.
En même temps, elle a commencé à me tamponner le front et les joues avec un pinceau très fin dont le parfum volatil s'est mis à tourner dans ma tête. Elle accomplissait ses gestes avec une concentration extrême qui ne lui interdisait aucunement de tenir une conversation.
-Figure-toi, je lui ai avoué, qu'hier j'étais à L.A...
-Ah bon ? Me dis pas que t'étais de concert !
-Si, justement. Cindy m'a contactée en début de soirée. Ma tournée se termine là-bas qu'après-demain. C'est tout Cindy ça, me contacter au dernier moment. Elle me laisse pas le choix...
-Si, le choix de refuser, le droit de n'être pas disponible.
-Est-ce que t'y crois, toi, à ça, dès qu'on parle de Cindy ?
Lesley n'a pas gardé longtemps le ton sentencieux de sa remarque et a dû se rendre à l'évidence.
-Ouais, t'as raison, c'est vrai. J'sais pas c'qu'elle a Cindy, elle peut tout se permettre, personne lui résiste.
-Et toi, elle t'a prévenue à quel moment ?
-Y'a quelques jours à peine. Remarque, j'ai eu plus de chances que toi. En même temps, il est vrai que je mène pas ton train de vie.
-Et pourtant je suis là, tu vois, fidèle au poste, on se plie en quatre pour Cindy. J'adore son univers, mais je doute cette fois que nous ayons le temps de tout finir en deux jours...
-T'es bien pessimiste !
-Lucide, tu veux dire. Parce que Cindy est une perfectionniste, tu sais ça. Elle n'avancera jamais sans avoir la preuve qu'elle n'oublie aucune des possibilités techniques qui s'offrent à elle.
-J'suis d'accord avec toi, Tori. Mais j'ai confiance en elle malgré tout. On y arrivera.
Quand Lesley m'a tendu une glace, j'ai été stupéfaite du résultat, si subtil que j'ai pensé tout d'abord qu'elle n'avait rien fait.
-Voilà le travail ! Qu'est-ce que t'en dis, ma belle ?
-Chapeau ! J'adore. J'sais pas me maquiller. Y'en a toujours trop ou pas assez. Pas le temps, en fait. Tu sais que je pourrais t'embaucher dans mon taf.
-C'est quand tu veux, Tori, tant que tu me demandes pas de chanter...
Nous sommes parties toutes les deux en même temps dans un franc éclat de rire. Deux petites voix mal assurées nous ont interpellées. C'était Ben et Buster qui nous demandaient de descendre dès que nous serions prêtes. Ordre de la réalisatrice.
-C'est elle qui a réquisitionné Ben, au fait ?
-Ouais, elle cherchait quatre garçons du même âge, pas plus de six ans, elle m'a dit. C'est pour gagner du temps, je crois bien, qu'elle m'a demandé pour Ben et qu'elle a choisi aussi Buster.
-J'ai vu les deux autres enfants tout à l'heure en bas. Ils ont l'air de bien s'entendre. Mais qu'est-ce qu'elle veut faire encore avec eux ?
C'était le deuxième clip où Cindy intégrait des enfants dans le décor. Bien que l'enfance soit rarement pour moi une source d'inspiration, je dois admettre qu'au moment où j'ai visionné, une fois montée et mixée, la vidéo de Silent all these years, je me suis rendu à l'évidence. La présence de l'enfant à côté de moi apporte au film une note tendre qui s'harmonise très bien avec ma chanson.

(à suivre)

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