lundi 31 décembre 2007

Blade Runner love scene - nice, clean encode

Blade Runner : Rachel realizes her memories aren't hers.

Blade Runner - Deckard meets Rachael

Blade Runner - Deckard meets Rachael

Afin de compléter le billet que j'ai consacré à Blade Runner, je joins trois vidéos qui dévoilent admirablement ce que j'ai tenté de dépeindre concernant la relation étrange et bouleversante entre Deckard et Rachel.

dimanche 30 décembre 2007

mercredi 26 décembre 2007

Sean Young : inoubliable Rachel



Depuis la sortie du coffret 5DVD de Blade Runner, à l'occasion des fêtes de fin d'année, (quel magnifique cadeau de Ridley Scott aux fans qui n'espéraient plus une édition digne de ce chef d'oeuvre !), j'ai pu me plonger une énième fois encore dans cet univers d'une richesse inouïe dont les visions successives n'altèrent jamais le sidérant pouvoir de fascination hypnotique. Blade Runner est sans conteste un sommet de la science fiction, au même titre que 2001, a space odyssée. C'est le film le plus génialement décoré que je connaisse, un émerveillement visuel sans précédent (à l'exception du film de Stanley Kubrick évidemment). Pour recréer des univers virtuels que ce soit l'espace claustrophobique d'Alien, le Los Angeles 2020 de Blade Runner, ou la forêt enchantée, digne d'un film de Jean Cocteau, de Legend, aucun cinéaste n'égale le regard visionnaire de Ridley Scott, son génie du détail poussé à son plus haut degré d'expressivité.

Sa beauté, Blade Runner la doit aussi à ses personnages, véritable galerie vivante qui vaut par ses contrastes et sa diversité.
Il y a certes JF Sébastien, le génie de la bio-mécanique, le solitaire qui se fabrique pour compagnie, dans l'immeuble désaffecté qu'il habite, ses automates bigarrés, ses "toys" aux allures de peluches ou de marionnettes rigolotes, et qui transforment son appartement en un espace magique droit sorti d'un rêve enfantin.
Il y a aussi Pris et Roy, les deux réplicants (comprenez humains artificiels fabriqués à base de cellules synthétiques) traqués qui, avant de mourir, rêvent de rencontrer leur créateur dans l'espoir qu'il rallonge leur espérance de vie. Daryl Hannah et Rutger Hauer leur prêtent leur charisme et leur sensibilité à fleur de peau.
Mais je voudrais cette fois jeter une loupe sur le personnage le plus fascinant du film, celui dont la problématique est de loin la plus vertigineuse, la plus bouleversante, la plus tragique : j'ai nommé Rachel. Sa première apparition, dès les dix premières minutes du film (voir image ci-dessus), nous montre une femme brune extrêmement sophistiquée, limite glaçante, tout à fait emblématique de toutes ces actrices ayant incarné la femme fatale du Film Noir dont elle serait la quintessence. Mais très vite, après que Rick Deckard, le flic joué par Harrison Ford, lui a fait passer le test de Voyd-Kampft, nous est révélé par Tyrel, le créateur des réplicants, le secret de Rachel : elle n'est pas humaine, et elle l'ignore. Contrairement aux autres réplicants, elle est un prototype, un essai pour rendre les réplicants plus humains que les humains. Et à ce titre, son créateur (Tyrel) lui a implanté une mémoire artificielle lui inventant une généalogie fictive.

A la suite du test de Voyd Kampf, Rachel est prise de doutes concernant son identité. Elle ne veut pas croire qu'elle soit un réplicant et se rend chez Rick Deckard parce qu'il est le seul, en tant que Blade Runner (flic chargé d'éliminer les 6 réplicants rebelles qui se sont évadés des colonies de l'espace pour venir se mêler à la foule terrienne de Los Angeles) à avoir accès à son éventuel dossier relatant les dates de sa fabrication et de sa mise en service. Cette séquence bouleversante évolue en deux temps : tout d'abord, Rachel vient soutirer des informations à Rick Deckard; en même temps, la vérité qu'elle commence à entrevoir sur son compte est si intolérable qu'elle s'empresse de démentir Deckard en lui opposant une photo de famille qui la montre petite fille au côté de sa mère. Le flic, qui a lu son dossier (preuve qu'elle est une réplicante), lui raconte un souvenir lié à un épisode de son enfance qu'elle est censée avoir vécu avec un ancien ami. A l'évocation de cette réminiscence enfouie au coeur de sa mémoire, Rachel est émue jusqu'aux larmes. Deckard, alors, s'empresse d'abattre ses dernières résistances en lui affirmant que ce ne sont pas ses propres souvenirs, contrairement à ce qu'elle croit, que ce sont sans doute ceux de la nièce de Tyrel qu'on lui aurait implantés en guise de mémoire artificielle. Existe-t-il révélation plus cruelle que celle-ci ? Découvrir qu'on n'a pas eu d'enfance, qu'on n'a jamais été enfant, qu'on n'a jamais eu de mère, qu'on est une machine à l'effigie humaine qui n'a tout au plus que quatre ans d'existence ?


C'est cet aspect du personnage de Rachel qui rend l'histoire d'amour de Blade Runner si poignante. Deckard, flic désabusé condamné aux pires besognes (tuer), homme complètement détruit dans son humanité, redécouvre l'amour et la compassion au contact d'une femme réplicante (non humaine) qui ignorait tout des sentiments humains avant cette rencontre. Dans la séquence qui suit celle du meurtre de Léon, quand Rachel trouve refuge chez Deckard à qui elle vient de sauver la vie, la jeune femme ne comprend pas les marques d'attention de l'homme qui la rejoint au piano. D'ailleurs, elle se demande si elle a vraiment appris à jouer du piano quand elle était petite ou si on lui a implanté les souvenirs des leçons qu'aurait suivies la nièce de Tyrel.

Et survient alors le moment magnifique où Rachel, cadrée en gros plan, dénoue les attaches qui retiennent sa chevelure et la laisse se déployer autour de son visage. C'est en apprenant qu'elle n'est pas humaine qu'elle ose enfin se libérer de la femme guindée qu'elle était jusqu'alors...
...et commence à s'abandonner à la douceur d'être femme, à la tendresse de l'homme qui s'émeut à l'écouter jouer au piano.


Il est fort dommage que, pour des raisons de durée sans doute, le film ne se soit pas risqué à développer la relation ente Deckard et Rachel. Il eût été si passionnant de suivre la lente remontée des émotions refoulées du détective ainsi que l'acceptation progressive de ses sentiments par la jeune réplicante, son combat contre sa mémoire fictive, sa pemière naissance à la vie en sorte.


Si Blade Runner avait défendu ses personnages avec la même ardeur que la reconstitution de son Los Angeles futuriste, alors c'eût probablement été selon moi le meilleut film de tous les temps. En l'état actuel, ça n'est qu'un chef d'oeuvre : après tout, ce statut n'est pas offert à tous.
Un dernier point (qui n'engage pas que moi) : a-t-on suffisamment loué la rare beauté de Sean Young, interprête de Rachel, dans ce qui fut son premier rôle à l'écran ?

mercredi 19 décembre 2007

Kate Bush : la fée ensorceleuse (2°partie)

Lionheart (1978, EMI)



La même année, sort ce Lionheart, qui prouve l'important matériau dont disposait Kate Bush dans ses tiroirs. L'auditeur, déjà familiarisé avec l'album précédent (The kick inside), se coule à nouveau dans un écrin sonore soyeux tissé par une équipe de musiciens parmi lesquels on reconnaît Stuart Elliott (drums), Ian Bairnson (electric guitar) et Andrew Powell (harmonium) non seulement pour leur participation à The kick inside mais aussi à tous les albums d'Alan Parsons Project de cette époque, autre groupe anglais créateur d'une pop sophistiquée où règne le bon goût et le beau son. Parmi les nouveautés, la chanteuse est mentionnée à plusieurs reprises au piano, instrument qu'elle pratique depuis l'enfance et avec lequel elle doit probablement composer ses chansons. D'ailleurs, elle ne cachera pas, plus tard, au moment de la sortie de son album Sensual world (1989), au cours d'un des rares longs entretiens filmés qu'elle ait accordés, son admiration pour un-chanteur-pop-qui-jouait-du-piano-debout : l'indétronnable Elton John, l'artiste à l'origine de sa passion pour le piano. Autrement dit, les sonorités s'inscrivent dans une parfaite continuité. C'est à la fois la qualité de cet album et sa limite.


L'inspiration irrégulière de la diva aboutit à une oeuvre plutôt moyenne que compensent des textes assez bien écrits. Déjà, s'affirme l'originalité d'une écriture qui traîte chaque titre comme s'il s'agissait d'une nouvelle (In search of Peter Pan, Wow, Don't push your foot on the heartbrake...). Au chant, Kate Bush confirme son sens théâtral en se montrant capable d'une immense douceur (Lionheart : sa déclaration d'amour à sa terre natale), d'une sensualité capiteuse (In the warm room), devenant même, le temps d'un Coffee Homeground une sorte de Madame Loyale tout droit sortie d'un cirque. Pour ma part, le meilleur du disque me semble réuni dans les quatre dernières plages, très agréables et séduisantes en raison du léger grain de folie qui y affleure : In the warm room, Kashka from Baghdad, Coffee Homeground et Hammer Horror. Dans ce dernier titre, elle rend un hommage sympathique aux mythiques studios anglais, spécialistes des films d'horreur, ayant redoré le blason des figures légendaires de Frankestein, Dracula et autre Momie du septième art et qui employaient autant d'artistes aux noms prestigieux : Terence Fisher, Peter Cushing, Christopher Lee, Roy Ward Baker... Pour le reste, la voix haut perchée, mixée très en avant, de la chanteuse fait une fois de plus merveille.

Live at Hammersmith Odeon (1979)


The kick inside et Lionheart seront suivis d'un concert exceptionnel au fameux Hammersmith Odeon de Londres (rappelez-vous la séquence au suspens fabuleux de "L'homme qui en savait trop" d'Alfred Hitchcock où l'on voyait James Stewart tenter d'empêcher un attentat au cours d'un concert dirigé par Bernard Hermann lui-même). Un film de ce spectacle unique, autrefois édité par EMI qui avait sorti une cassette VHS (mais toujours pas réédité en DVD malheureusement), révèle le talent protéiforme d'une chanteuse qui ne se contente pas de danser ni de mettre en scène chaque titre, mais se lance aussi dans le mime (voir le moment fabuleux où Kate Bush, à l'occasion de la chanson James and the cold gun, coiffée d'un chapeau de cow boy et munie d'une carabine, tire sur tous les mâles qui osent la défier, tout en parodiant la violence graphique des westerns de Sergio Leone). Réunissant des danseurs professionnels, elle offre à un public conquis des chorégraphies délirantes. Certes, nous connaissons les concerts grandioses de Madonna, mais quelles étaient, en 1979, à part Kate Bush, les autres artistes féminines, dans le monde de la pop, à posséder un talent et une audace suffisants pour monter un tel spectacle ? Il n'y en avait point, justement. C'est pourquoi Kate Bush peut être considérée, du point de vue scénique uniquement, comme la précurseur des Madonna et autre Mylène Farmer. Je crois utile de préciser toutefois que ces deux dernières artistes ne sont pour moi en aucun cas des références, leurs chansons me laissant plutôt indifférent.


Il n'existe aucun autre concert filmé de la diva, pour la simple raison qu'elle ne remontera jamais sur scène. A-t-elle été déçue par cette expérience ? La suite de sa carrière nous apportera peut-être un élément d'explication, dès son prochain album en fait, le bien nommé Never for ever.

Never for ever (1980, EMI)


lundi 17 décembre 2007

Kate Bush : la fée ensorceleuse



Mon ami Alexandre savait ma passion pour les voix féminines, aussi lui parut-il approprié de me faire découvrir la chanteuse anglaise Kate Bush dont je ne connaissais, je dois l'admettre, que le tube planétaire Wuthering Heights. Il lui a suffi de me faire écouter quelques titres issus de ses albums Hounds of love et Sensual world pour que je me retrouve sous l'emprise d'une pulsion soudaine d'explorer son univers musical d'une richesse inouïe. A l'instant où j'écris ces lignes, près de quinze ans se sont écoulés, et je ne me suis toujours pas remis de cette passionnante découverte.


Il me paraît naturel, et légitime, à mon tour, de vous inviter à l'exploration d'une oeuvre fascinante, déroutante, complexe, convulsive, l'oeuvre d'une artiste d'exception dont le talent se mesure à la discrétion. A ceux qui lui reprochent sa froideur, sa distance, sous prétexte qu'elle n'a jamais joué de sa célébrité, protégeant sa vie privée avec la même efficacité que notre meilleur actrice hexagonale Isabelle Hupper, et qu'elle accorde fort peu d'entretiens à la presse spécialisée, elle a toujours répondu que seule la musique l'occupait à plein temps, et que c'est la seule chose sur laquelle elle veuille bien être jugée. Avec les années, l'espace entre ses différents disques s'est allongé d'une manière qui oblige ses inconditionnels, dont je fais partie, à une patience soumise à rude épreuve. Il me vient une comparaison à l'instant : par sa discrétion, par son perfectionnisme, par la rareté de plus en plus marquée de ses productions, la carrière de Kate Bush entretient quelques rapport avec celle du cinéaste Stanley Kubrick.


Je vous propose un parcours de sa discographie en espérant que cela vous donnera, dans le cas où vous ne la connaîtriez pas, l'impulsion de plonger dans son univers créatif débridé.


Les débuts de Kate Bush sont bien connus à présent. Nous ne remercierons jamais assez David Gilmour, le guitariste et chanteur sensible de Pink Floyd, d'avoir envoyé au label EMI une cassette de démos enregistrées par la demoiselle, qui n'avait alors que dix-sept ans. A l'écoute de ses balbutiements, le patron de la boîte, conquis, lui a fait signer le contrat tant convoité. Et c'est ainsi qu'a pu paraître son premier disque :


The kick inside (1978) -EMI-
***

Soyons honnête : si cet album demeure prometteur, en revanche, rien ne permet à l'auditeur de pressentir l'énorme potentiel de la diva. Tout, de l'orchestration à la production, date un peu. Les compositions, toutes signées de Kate Bush (cela force le respect, surtout à dix-sept ans), sont intéressantes car déjà s'y profile un talent en formation : limpidité des mélodies. Mais l'album entier souffre de ce qui aurait pu inhiber la chanteuse pour le restant de ses jours. En effet, s'y cache, parmi les treize titres qui le composent, une chanson incroyable, un tube instantané, d'une beauté convulsive rare, une composition exceptionnelle : j'ai nommé l'inoubliable Wuthering Heights où la belle Kate s'inscrit sous les auspices romantiques d'Emily Brönté. En quatre minutes tendues à l'extrême, c'est un torrent d'émotions violentes qui nous submerge (l'auteur du roman eût adoré). Kate s'identifie à l'héroïne Cathy en qui elle a trouvé un modèle, une soeur jumelle qui exprime toute la folie qui l'habite. Imaginons les auditeurs qui entendirent pour la première fois le chant halluciné de K Bush : quelle claque ! que de virtuosité ! une voix à nulle autre pareille dans le domaine de la pop, très haut perchée, couvrant plusieurs octaves avec une maîtrise confondante. Il m'arrive pour ma part de comparer cette voix avec celle des chanteuses de la pop indienne, ces voix sucrées extrêmement féminines, suaves, enfantines.
Wuthering Heights
le premier couplet :
Out on the wiley, windy moors
We'd roll and fall in green
You had a temper like my jealousy
Too hot too greedy
How could you leave me ?
When i needed you to possess you
I hated you i love you too
le refrain :
Heathcliff it's me, Cathy come home
I'm so cold, let me in-a-your window
Il était évident que les autres compositions feraient un peu triste figure aux côtés de celle-ci. C'est du moins l'impression que confirme la face A du vinyl. Dans la face B, il serait dommage de passer à côté de quelques délicieuses compositions, notamment l'irrésistible Room for the life que, pour ma part, j'ai tendance à préférer au trop connu (victime de son succès) Wuthering Heights. Peut-on rester insensible aussi à un Feel it chanté avec une suavité confondante, à un mélodieux Oh to be in love. Ce qui me frappe dans cet album, c'est l'harmonie de ses compositions que Kate Bush exécute avec une fermeté étonnante pour son âge.

Lionheart (1978) -EMI-

**






vendredi 14 décembre 2007

Le lecteur solitaire


Ce film de James Ivory figure parmi mes préférés; je ne suis pas loin de penser qu'il s'agit de son oeuvre la plus aboutie, même si j'avoue ne pas connaître les films de sa période indienne, ni les plus connus Maurice et Retour à Howards end.
Existe-t-il meilleur peintre de l'esprit britannique, à cheval entre le 19° et le 20°siècle, que ce cinéaste ? Et pourtant, James Ivory, malgré ce que l'on peut penser à tort, est américain. Le roman Remains of the day (Les vestiges du jour) plonge au coeur de la domesticité anglaise, dans le château de Lord Darlington où règne le Majordome Stevens. L'histoire couvre une période qui s'étend des années 30 aux années 50, abordant avec beaucoup de finesse l'ambiguïté qu'a entretenue une certaine aristocratie britannique avec le régime allemand d'Hitler. Cette oeuvre riche, scrutant avec acuité le non engagement d'un majordome tout entier dévoué à son maître, jusque dans ses zones les plus obscures, est un formidable portrait ainsi qu'une histoire d'amour bouleversante car corsetée et empêchée par les impératifs de la bienséance.
Au cinéma, Anthony Hopkins (au sommet de son art comme Sean Connery à l'époque du Nom de la Rose) prête ses traits à ce majordome verrouillé par l'abnégation à laquelle le lie sa fonction auprès de son maître. Le film ausculte le rituel ahurissant auquel doivent se soumettre les domestiques condamnés à la perfection absolue. Cela donne l'occasion à James Ivory d'orchestrer un ballet savant que rythme le vertige du soin maniaque apporté au service de table. Les déplacements occasionnés par toutes les taches à accomplir dans le château finissent par leurs répétitions à donner une certaine idée de l'enfer, ou du moins du purgatoire.
La force de l'histoire est décuplée par le rapport fascinant qu'entretiennent le majordome Stevens et miss Kenton (sublime Emma Thompson), la gouvernante qu'il a engagée à Darlington Hall. Il apparaît très vite que la rivalité entre les deux se double d'une estime réciproque qui se mue peu à peu en sentiment amoureux. Mais la respectabilité à laquelle est enchaîné le personnage d'Anthony Hopkins l'a statufié au point que l'expression de ses sentiments est devenue impossible. C'est la qualité exceptionnelle de l'écriture qui permet à l'histoire d'amour d'exister sans qu'elle soit jamais matérialisée à l'écran. C'est une romance sans déclaration, sans l'abandon habituel des gestes tendres. C'est comme si le sentiment entre Stevens et miss Kenton ne dépassait pas le stade de l'inconscient.
Il est pourtant une scène, magnifique, qui agit comme un véritable aveu, un lapsus.
Dans l'un de ses rares moments de repos quotidien, le majordome Stevens s'isole dans un boudoir. Miss Kenton s'y rend sans savoir qu'il s'y trouvait, et le surprend près d'une fenêtre, en train de lire un roman. Cette révélation a valeur d'événement dans la vie réglée du majordome qui jamais ne s'abandonne à la futilité des sentiments. L'interprétation d'Hopkins atteint le sublime : l'arrivée de miss Kenton provoque un mouvement de fermeture du personnage qui plaque le livre contre sa poitrine comme s'il s'agissait d'un péché. Emma Thompson exprime avec une verve pétillante toute la malice de son personnage. Il s'agit pour elle d'obtenir du majordome le titre du livre dont il vient de dissimuler la couverture contre son coeur. Comme il s'entête dans son mutisme gêné, elle insiste à la manière d'un enfant qui aurait surpris en faute un autre enfant. Le ton se fait chez elle faussement anodin. Tout en suggérant qu'il puisse s'agir d'un "livre leste" (appréciez l'euphémisme), elle s'approche de lui selon un déplacement louvoyant qui dénote une tactique imparable, tandis que lui se retrouve totalement emprunté, acculé contre un rideau, plus impénétrable que jamais. Pendant son approche, il la fixe du regard. Elle est obligée de lui arracher l'ouvrage des mains jusqu'à ce que la révélation ait lieu. Celle-ci se fait en deux temps : d'abord, miss Kenton s'écrie : "Ô Seigneur..."¨Puis : "Ca n'a rien de scandaleux, c'est un roman d'amour, l'un de ces romans à l'eau de rose". La force de cette scène réside dans le décalage entre la violence de ce qui apparaît de la part de miss Kenton comme une tentative de viol et la banalité de l'objet du délit que cherchait à censurer le majordome. Ce dernier, d'ailleurs, pour tenter de reprendre le dessus, croit utile de rappeler : "J'aime ce genre de livre, j'aime tous les livres, ils me servent à enrichir mon vocabulaire, à me former..." Il est évident qu'une telle justification, loin de nous convaincre, exacerbe une facette du personnage qu'il s'efforce de garder secrète. Stevens a totalement banni les sentiments de sa vie réglée comme un métronome, et la lecture des romans à l'eau de rose devient son seul exutoire, la seule catharsis d'un homme privé d'amour. Cette scène comporte donc deux tonalités qui s'enrichissent l'une l'autre : d'une part ce qui se joue ici entre les deux personnages est du domaine de l'enfance avec sa cruauté intrinsèque, d'autre part, l'insistance de miss Kenton à arracher le secret du majordome agit comme un viol. La coexistence d'un tel paradoxe conduit au vertige.
Je commence à croire qu'un des critères qui me fasse juger l'importance d'un film est l'existence ou non d'une scène puissante comme celle-ci où l'interprétation n'a d'égale que la rigueur d'une mise en scène au service des sentiments qui la transpercent.

samedi 8 décembre 2007

L'Australie : ce territoire ancestral, terreur de l'homme blanc


Depuis que la fille d'un ami est partie en Australie à la fois pour y travailler six mois durant et pour explorer son mystérieux territoire, je me prends à regretter infiniment le grand cinéma fantastique australien des années 70.

En littérature, l'Occident est tributaire du Royaume-Uni dans sa conception du genre fantastique, tandis que les USA nous ont contaminés dans notre perception du genre à travers leurs films. Entrer dans le cinéma fantastique australien, c'est accepter de découvrir un territoire vierge que n'a jamais réussi à aliéner le Christianisme. Vous n'y retrouverez pas les thèmes habituels à la culture anglo-saxonne : les fantômes, les morts-vivants, les monstres et les maisons hantées y sont proscrits. Ces films ignorent superbement le combat du Bien et du Mal, même si la notion de culpabilité les travaille souterrainement.

Pour comprendre le Fantastique australien, il ne faut jamais perdre de vue la culpabilité intrinsèque de l'homme blanc colonisateur. Fier de sa supériorité morale et culturelle, ce dernier a décimé les tribus primitives qui vivaient dans les territoires du Rêve depuis des millénaires. Ce génocide fait écho à un autre génocide, planifié lui aussi par l'homme blanc, sur le continent américain. Dans l'histoire des deux pays, une égale incompréhension de l'homme occidental à ce point persuadé du progrès humain à l'oeuvre dans son modèle social qu'il ne peut concevoir que les hommes primitifs puissent ne pas l'adopter, eux qui vivent dans l'ignorance et la barbarie. Je refuse de faire ici de la politique, mais cette prétendue supériorité de l'homme blanc me révulse. L'Occident a fait preuve d'une invention inouïe pour créer un monde factice qu'il puisse contrôler à son humeur. Mais il a oublié ses origines, il s'est détourné de son rapport à la Terre Nourricière, il a oublié qu'il n'était qu'un maillon dans la chaîne de la Vie, et que l'état de Nature lui préexistant n'avait pas besoin de lui pour vivre.

Voilà la réflexion qui sous-tend les films fantastiques australiens des années 70, sans que celle-ci prenne pour autant le pas sur leur récit. Dans le regard des artistes de cette époque, le territoire australien apparaît dans sa magnificence la plus élémentaire, au croisement de la fascination et de l'inquiétude.

Trois films majeurs s'inscrivent dans ce courant fantastique secrété par le paysage : Picnic at Hanging Rock, The last wave et Long week-end, respectivement sortis dans les salles françaises en 1975, 1977 et 1979

On y retrouve à son zénith la confrontation de la civilisation occidentale chrétienne et de l'état de nature primitif. Ce qu'ils montrent de la société de l'homme blanc est évolutif : en effet, en 1900, la société empreinte de puritanisme victorien apparaît dans Picnic at Hanging Rock comme déjà coupée de ses origines, même si le cheval reste encore un moyen de transport des plus naturels. L'ameublement intérieur du pensionnat de Miss Appleyard, totalement asphyxiant et rythmé par le mouvement métronomique des horloges, et la prédominance étouffante des toilettes, exacerbent la rigueur morale d'une pensée chrétienne repliée sur elle-même. La frustration engendrée sur les esprits aboutit à une négation du corps. Mademoiselle de Poitiers, professeur de Français dans l'établissement de Miss Appleyard, bien que prisonnière de cette société rigide, apparaît comme la moins coupée de la dimension physique. N'est-elle pas la seule à se montrer sensible à la beauté de Miranda à laquelle la renvoie la Vénus de Botticcelli ? La prof de maths, quant à elle, reste bloquée dans l'univers de l'abstraction pure (elle feuillette un livre de géométrie).






Picnic at Hanging Rock, de Peter Weir (1975)


The last wave se déroule au coeur des années 70, à Sydney, mégapole où se dressent des tours de verre. L'homme occidental a oublié l'existence en Australie d'un territoire vierge. Loin de partir en pique-nique sur un site géologique, comme dans Picnic..., il se contente de profiter d'une nature qu'il a domptée au profit des espaces calibrés de son jardin. L'avocat interprété par Richard Chamberlain, joue au tennis dans son propre jardin, tandis que sa femme sirote un verre sous un parasol.

The last wave, de Peter Weir (1977)

Long week-end se gausse, quant à lui, de l'homme moderne qui, ne supportant plus le monde de la cité, générateur de stress, croit retrouver un rapport perdu à la nature dans ses excursions du week-end hors de la ville.


Dans ces trois films, un événement se produit qui va peu à peu fissurer l'ordonnancement trop lisse de ce monde pétri de certitudes : un groupe d'écolières disparaît lors du Pique-nique à Hanging Rock, l'avocat de The last wave est appelé sur une affaire de meurtre tribal survenu dans la ville, parmi des aborigènes. Au fil de son enquête, il va découvrir un secret lié à son enfance qui détruira ses certitudes et l'ouvrira au Temps du Rêve cher aux aborigènes. Au cours de leur camping sur une plage sauvage, le couple de Long week-end va sentir peu à peu l'environnement naturel, à la rencontre duquel ils sont pourtant allés, devenir menaçant au point de raviver leurs dissensions internes qu'ils avaient pensé éradiquer en fuyant le monde citadin.

Long week-end, de Colin Eggleston (1979)
La grande force de ce cinéma australien réside dans le refus d'un récit clos sur lui-même. Ces trois films sont conformes à la définition du genre fantastique par Tzvetan Todorov. Après une première partie consacrée à la description d'un monde rationnel, tout le talent des réalisateurs consiste à déranger la quiétude du spectateur en l'amenant à douter du bien fondé du monde dans lequel il croit vivre en harmonie, jusqu'à soulever une infinité de questions qui se prolongent bien après la vision du film. L'angoisse ne naît pas d'un événement surnaturel extérieur à l'homme, mais bien plutôt d'une remise en cause du monde occidental que l'homme blanc a voulu si rassurant. C'est comme si, dans les trois films qui nous intéressent ici, l'intervention de l'inexpliqué (qui grignote peu à peu l'espace des personnages) ne se produisait que pour mettre en garde l'humanité ou la punir de s'être à tort détournée d'une réalité immanente à sa nature primitive.

Dans Picnic at Hanging Rock, le lieu du pique-nique présenté comme une étrangeté géologique renvoie la civilisation chrétienne à tout ce qu'elle avait refoulé. Le motif des bas que retirent les écolières, malgré l'interdit qui pèse sur elles, ne doit pas tant se lire comme un symbole érotique que comme synecdoque d'une société artificielle qui retournerait à l'état primitif. D'ailleurs, à ce titre, la disparition des jeunes filles devient une évidence : en s'ouvrant au monde des origines, elles accèdent à une réalité qui demeure invisible aux yeux d'autrui. Edith ne disparaît pas car c'est la seule qui, lors de l'exploration du rocher, demeure insensible à son pouvoir chamanique. N'est-ce pas elle aussi qui est choquée par les pieds nus de ses camarades après qu'elles ont enlevé leurs souliers ? Edith est trop submergée par les interdits chrétiens pour décrypter les ondes subliminales que lui adresse le rocher en guise d'appel. Hanging Rock est un site volcanique et, à ce titre, les ondes telluriques qu'il génère, comme lors d'une éruption, lui font recracher sa lave. C'est pourquoi la disparition des écolières, sacrifiées sur l'autel de leur virginité (le rapprochement entre ce film et le Virgin suicides de Sofia Coppola est judicieuse), provoque une série de secousses sismiques qui rejaillissent sur le garant de l'ordre social et moral, autrement dit l'établissement chic tenu par Miss Appleyard.
Picnic at Hanging Rock, de Peter Weir, (1975)


La prémonition de la vague qui conclut The last wave sur une conception cyclique du Temps conduit l'avocat à l'orée d'un monde avec lequel il avait perdu tout lien. Mais que faire à présent de cette réalité supérieure qu'il vient de réintégrer ? Comment pourra-t-il continuer à vivre la vie citadine de l'homme moderne qu'il était devenu ?


On aurait tort de confondre The birds d'Alfred Hitchcock et Long week-end de Colin Eggleston. Malgré les similitudes de leur thématique (la vengeance des animaux contre le prédateur humain), les deux films ne sont en rien comparables. L'oeuvre d'Hitchcock est le modèle définitif du film d'horreur, à ce titre indépassable. Long week-end, malgré les apparences, est une oeuvre infiniment plus subtile que The birds. Colin Eggleston, inspiré d'une façon miraculeuse, qu'il ne retrouvera jamais plus par la suite, déploie une mise en scène du paysage absolument époustouflante. La maîtrise du récit, que l'on doit au scénariste australien Everett de Roche (auteur entre autres d'Harlequin), crée une tension qu'un crescendo admirable conduit jusqu'à l'insoutenable. Là ou Hitchcock agresse avec ses images tétanisantes d'oiseaux attaquant les humains, Eggleston préfère une tension intérieure et parvient à réduire à une seule scène l'agression d'un humain par un aigle. En revanche, c'est la perception de l'espace naturel par le couple protagoniste, englué dans ses conflits internes, qui occupe le cinéaste. La nature semble se liguer autour de l'homme et de la femme venus faire du camping sauvage : c'est le harpon qui se plante inexplicablement dans le tronc d'arbre, c'est le cri de l'éléphant de mer qui évoque celui d'un enfant à l'agonie et renvoie la femme à sa culpabilité depuis son avortement, c'est cette fourgonnette qui se retrouve sans raison apparente noyée dans la mer, c'est ce poulet qui a moisi dans le congélateur portable...
Long week-end, de Colin Eggleston (1979)
Ce ne sont à chaque fois que des micro incidents, mais leur accumulation débouche à la fin sur une réelle terreur. Les vingt dernière minutes de ce film sont les plus angoissantes qu'il m'ait été donné de voir au cinéma. La séquence où l'homme, après le départ imprévu de sa femme, se retrouvant seul avec son chien, essaie pendant la nuit fraîche de se réchauffer autour d'un feu de camp est un modèle du fantastique à l'australienne. Il fait nuit, alors l'espace du plan est réduit à l'homme qu'éclaire le feu nocturne. Et il y a les bruits alentour, les bruits de la nuit (craquements des branches, claquement d'ailes d'oiseaux de nuit qui laissent tomber du ciel une chaussure de femme...). L'absence de musique et de dialogue décuple la perception auditive de ces bruits. On pense alors à Maupassant, à ses meilleures nouvelles (comme L'auberge) décrivant la peur viscérale de l'homme confronté à l'inconnu. Est-ce bien la révolte de la nature contre l'humain ? Pas si simple, et c'est sous estimer le cinéma fantastique australien. Car, au-delà du schéma manichéen de la victime qui se retourne contre son bourreau, ce qui choque le plus dans Long week-end, c'est la violence que l'homme s'inflige à lui-même. Le film ausculte avec une lucidité hargneuse la réalité d'un couple qui se déchire et ne sait plus, malgré ses tentatives, renouer le contact. S'il est un film qui illustre avec une réelle puissance la célèbre phrase de Bergson : "L'homme est un loup pour l'homme", c'est bien Long week-end, oeuvre injustement méconnue, qui mériterait une sortie DVD en France. A quand cette réhabilitation ?

Long week-end, de Colin Eggleston (1979)

dimanche 2 décembre 2007

Lumineux regrets en commande

Pour la sortie de mon recueil Lumineux regrets aux Miroirs du Sud, mon éditrice me demande de lui indiquer le nombre d'exemplaires à imprimer.
Je passe donc commande auprès de vous. Si vous êtes intéressé(e), n'hésitez pas à me le faire savoir. Le livre sera en vente bientôt sur le site internet de l'éditrice : www.miroirsdusud.com

Je vous souhaite un dimanche tranquille. Restez à l'écoute de vous-même.

samedi 1 décembre 2007

Proposition de maquette pour couverture de livre

Pour la parution prochaine de mon recueil de nouvelles Lumineux regrets, on me propose plusieurs maquettes de couverture. Les voici :

C'est vers la première ci-dessous que va ma préférence. Mais j'attends l'accord des photographes qui en sont les auteurs. J'espère qu'ils accepteront le projet, sachant que leurs noms figureront sur la couverture, me promet mon éditrice.




La seconde me convainc beaucoup moins, et pourtant c'est ce genre d'image que je visualisais au départ dans ma tête.

La troisième me plaît énormément, et concurrence la première dans mes préférences.


Et vous, qu'en pensez-vous ?